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Aloyse Taupier

samedi 25 août 2018

Papier, violette, filante

Quinzième papier

Voici l’automne, saison douce-amère. Comme un souvenir agréable auquel on repense à la lueur d’une mélancolie envahissante. J’aime l’automne. Je déteste l’automne. Je déteste ce sentiment qui m’envahit lorsque les premières feuilles vermeilles apparaissent et que le temps se couvre. Mais j’aime l’automne tout entier. J’aime le mélange de champignons que ma mère fait revenir dans la poêle. J’aime leur goût, leurs textures, leurs couleurs. J’aime le parfum d’immuabilité qui s’en dégage, comme s’ils étaient ancrés dans le temps. Comme si, dans dix ans, quand je reviendrais, ces champignons à la poêle seraient toujours là pour m’accueillir, signe que cette saison a de nouveau commencé.

J’aime les citrouilles. J’aime voir fleurir sur Internet, à cette époque de l’année, des recettes de toutes sortes, orangées. J’aime creuser dans les courges, y dessiner des visages, mettre des bougies dedans. J’aime les ombres qu’elles projettent, les ambiances qu’elles créent.

J’aime Halloween. J’aime Halloween passionnément et c’est ma fête préférée. Celle que j’attends avec le plus d’impatience. Parce que j’aime les costumes, les bonbons, l’effervescence. J’aime la fébrilité et l’impatience présentes chez tout le monde. Par-dessus tout, j’aime l’esthétique d’Halloween. Ce jour, cette nuit, sont pour moi comme un immense étalage de merveilles, comme un tableau grandiose autour de moi. Je sais que peu importe où se pose mon regard, il sera contenté. Tout est beau. La nuit est belle, les lumières sont belles, les bonbons dans leurs papiers multicolores étincellent, chaque décoration, chaque citrouille est belle et embellie, la créativité est belle et heureuse, et l’originalité, sublime. Tout est beau, et j’aimerais que cette nuit dure toujours.

La nuit. Dans l’automne, j’aime la nuit. J’aime la nuit qui tombe plus tôt, qui brille plus fort. J’aime le froid humide, et la buée tiède quand on respire. J’aime voir tous ces petits nuages quand les gens passent. J’aime voir les étoiles qui m’entourent quand je lève la tête. Et j’aime ce sentiment étourdissant quand mon regard reste trop longtemps fixé sur cette immensité. J’aime la nuit en automne et j’aime l’automne dans la nuit. J’aime quand les ombres se confondent, se mélangent, pour former de nouvelles ombres, de nouvelles formes, de nouveaux êtres. J’aime les ombres démesurées et les ombres rabougries. Les trop larges et les rachitiques. Parfois, les yeux iridescents d’un chat.

Et il y a le temps. Le temps couvert, le temps gris. Le temps pas encore glacial, mais pas non plus doux. Le temps oppressant, le temps revigorant. Le temps où on sort les vestes plus chaudes, et les écharpes. Un temps à crêpes. Un temps où on fait chauffer la petite machine, où on l’huile, et où on verse avec délice la pâte qui va crépiter en entrant en contact avec la chaleur. J’aime les crêpes en automne. Il fait chaud, et on se brûlerait presque les doigts, d’impatience, de maladresse. Mais c’est aussi le temps où il pleut, où tout est trempé, où tout est grandiose. Il y a du rouge, de l’orange, du jaune, du brun, vifs, partout. Les couleurs sont éclatantes et remplissent nos yeux. Les châtaignes commencent à tomber dans leur bogue verte, et on se pique pour les ramasser. Il existe tellement de manières de les manger. Au feu de bois, cuites à la vapeur, au four, et le meilleur : en confiture. Confiture qui nous fera penser à l’automne quand on la goûtera en hiver et qu’on finira le dernier pot au printemps.

Enfin, c’est le temps où débutent les feux de cheminée. Où l’odeur de fumée imprègne les vêtements. Celui où l’on rentre, et où le foyer nous attend patiemment, à la maison, brûlant. Sa chaleur bienveillante nous réchauffe, et il supporte sans ciller les regards embrumés qui viennent se perdre dans ses braises rougeoyantes. Il n’est pas intéressé par nos pensées. Il se contente de crépiter, indifférent.

Et puis il y a la mélancolie. La mélancolie qui point dès les premières feuilles rougissantes aperçues. La mélancolie qui nous envahit peu à peu, doucement, presque imperceptiblement, mais qui ne vous lâchera plus avant longtemps, sûrement. La mélancolie qui embrume l’âme et l’esprit, comme une grosse couverture en brouillard, mais qui vous serre le cœur, et qui vous serre le cou. Celle qui vous fait regarder par la fenêtre pendant de longues minutes, de longues heures, à contempler la pluie ou la grisaille, le vague à l’âme. Celle qui vous donne envie de ne rien faire de la journée, de rester sous la couette ou devant le feu, d’être inerte, atone, alors même qu’un mois plus tôt, à peine, vous étiez plein d’entrain. Et parfois, il y a celle qui est plus insidieuse. La même, plus insistante, plus envahissante. Celle qui transforme une belle journée en une journée maussade. Celle qui gâche tout ce que vous aimez en automne. Celle qui va chercher au fond de vous, de temps en temps, des choses que vous préféreriez oublier. Des choses qui ne sont pas agréables. Des choses qui ne sont pas colorées. Des choses mornes, sombres. Lancinantes même, parfois. Des choses dont vous ne voulez pas, encore moins quand la mélancolie vous tient. Mais la mélancolie va les chercher pour vous. Les retourne. Alors, ce n’est plus une belle journée d’automne du tout. Et maintenant vous n’aimez plus l’automne.

J’aime l’automne. Je déteste l’automne.

Commentaires

C'est très beau, encore une fois, simple et vrai :)
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samedi 25 août à 22h19
J'ai lu ce texte et il me semblait que je l'avais commenter en écrivant mon avis/interview sur le blog mais apparemment non, étrange ! En tout cas, j'aime beaucoup ce texte, à la fois simple, poétique et vrai, comme les autres.
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lundi 1 octobre à 18h55