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Aloyse Taupier

vendredi 22 juin 2018

Papier, violette, filante

Dixième papier

Mes draps deviendront des voiles, et mon lit, ce frêle esquif ballotté par tous vents que l’on décrit dans les histoires.

Ma couette est, et a toujours été, mon refuge en hiver. Que ce soit quand ma chambre se trouvait encore chez mes parents, ou maintenant, alors qu’elle est aussi ma cuisine, mon bureau, ma salle à manger, mon salon et ma bibliothèque. Ô joie d’avoir son propre appartement. Minuscule. Il me faudrait une bouillotte en plus, ou encore mieux, une chaufferette. C’est vrai que je n’ai pas de braises pour l’approvisionner, et même si c’était le cas, je mettrais probablement feu à mon lit. Malgré tout, c’est un objet qui a du charme. Depuis la toute première fois où j’ai découvert que cette drôle de boîte où mes parents rangeaient leur radio n’était en fait pas une « boîte à radio », j’en ai voulu une, malgré le côté un peu « old-school ». Mais je digresse, je parlais de ma couette.

J’adore ressentir le poids de l’édredon tout autour de moi, qui m’enserre et me protège du froid. Ma fière armure. En revanche, elle met un peu de temps à me réchauffer, et ce moment où je frissonne, où je sens le tissu glacé se coller contre moi ajoutant du déplaisir à mon déplaisir, je ne l’aime pas du tout. Je voudrais l’éviter à tout prix. Malgré tout, il finit par s’estomper, et j’oublie mes râleries pour me laisser envahir par cette chaleur réparatrice et familière qui se diffuse peu à peu. Cette chaleur si réconfortante.

Sous mon dôme douillet je peux tout faire. Je lis, je termine mes devoirs, je cuisine et je mange sans jamais en sortir. Il devient comme une seconde peau que je ne quitterais pour rien au monde, et quelque part, j’ai la sensation qu’il me protège aussi contre le monde entier. Je m’y calfeutre toute la soirée durant, et quand j’ai fini tout ce que j’avais à faire, quand la douce langueur qui menaçait de m’emporter depuis un moment déjà s’intensifie, je m’allonge moelleusement dans mon abri de soie, j’éteins la lumière, et je m’endors comme ça, alors que les dernières bribes de ma conscience se dissipent progressivement dans la torpeur de la nuit.

L’été, j’aime sentir les draps légers et parfumés. Ils sont frais, et le soleil passe au travers lorsque l’on s’en fait une cabane.

Ils peuvent se transformer en une cape immaculée, mais ils peuvent aussi faire de nous des fantômes.

Ils peuvent se faire houleux, ondulants comme des vagues au-dessus de moi, comme si j’étais non pas sur, mais sous la mer, regardant la lumière jouer avec la surface de l’eau, admirant ses reflets et ses variations de couleurs. La nuit, grâce à une lampe-torche, ils deviennent le lieu de toutes les aventures, même si l’heure du coucher est dépassée depuis longtemps. Aujourd’hui, bien que cette heure n’existe plus, il m’arrive encore d’user mes yeux de cette façon sur mes romans neufs. Cette ambiance a quelque chose de particulier, même après toutes ces années ; quelque chose que je ne veux pas perdre.

J’ai entendu dire qu’on pouvait également partager son lit avec quelqu’un. Je ne ferais ça pour rien au monde bien sûr, car cela voudrait dire ne plus avoir tout l’espace rien que pour moi, et diviser tout ce qui m’apporte de la chaleur en deux. Mais il paraît que certaines personnes le font. Je peux comprendre. Je peux comprendre cette envie de partager son monde, de s’abîmer les yeux à deux, de se créer une cabane pour y faire, ou rien n’y faire. Un endroit où l’autre recueille les larmes, et non plus l’oreiller. Un endroit où admirer le fond de la mer ensemble, et où, lorsqu’il fait nuit, les rêves de chacun s’entrecroisent. Je peux comprendre, même si ce genre d’envie ne m’effleure pas.

Alors que tout ceci me traverse, je pense que cela fait longtemps que je n’ai pas allumé de bougies. Leur présence apaisante me manque ; elles comblent le vide, le noir. Je vais en mettre deux sur ma table de nuit et une sur l’étagère accrochée au mur, une parfumée. Je choisis celle à la violette que j’ai achetée l’autre jour sur les quais. Elle est faite de cire de soja ; c’est drôle, je n’en avais jamais vu.

J’adore la violette. Maintenant elle va embaumer tout l’appartement et je pourrai m’endormir comme ça. Je regarde fixement les ombres que projettent les trois photophores. Je sens mes yeux qui me piquent et qui se ferment tout seuls. Je ne vais pas tarder à dériver. La dernière chose dont je me souviendrai après avoir clos mes paupières, et avant de sombrer complètement, sera cette délicate odeur florale qui m’accompagnera jusque dans mes songes et au-delà.

Commentaires

Le champagne est une convention sociale dont on se passe fort bien, il existe des boissons bien meilleures. Pauvre buveuse, une cuite au pétillant... M'enfin, pauvre buveuse tout court^^'
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mercredi 16 octobre à 23h38
Lecture parfaite pour une pause en cours d'amphi, j'ai beaucoup trop sommeil maintenant... vivement le retour des longues soirées d'hiver !
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vendredi 27 mai à 11h57