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Aloyse Taupier

lundi 5 mars 2018

Papier, violette, filante

Quatrième papier

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Comme toujours, la porte en fer blanc grince sur ses gonds quand je la pousse. Elle n’est jamais fermée. L’avantage d’habiter dans un petit village, c’est que personne ne s’occupe de verrouiller les portes des cimetières. De toute manière, qui voudrait venir ici de nuit ?

Je la clos doucement derrière moi, et m’avance. Je commence à marcher dans les allées, entre les tombes. Tout est calme. On n’entend que le bruit de mes pas sur le gravier. Cela me gêne un peu ; j’ai l’impression de troubler la quiétude des lieux. Peu importe, il n’y a personne pour me le reprocher.

J’adore les cimetières. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé les tombes et la tranquillité qui règne dans ces endroits. On n’y croise pas grand monde le jour, et la nuit, on n’y croise personne. J’aime cette tranquillité. Peut-être qu’un jour je ferai connaissance avec des feux-follets au détour d’un sentier.

Les cimetières sont des lieux parfaits pour le repos de l’esprit. Tout y est si calme. Et à la campagne, on n’entend rien d’autre que le silence entier et absolu qui entoure chaque chose. Comme c’est la nuit il fait un peu frais, mais le soleil a réchauffé les pierres toute la journée, et quand je m’assois sur une dalle, je sens cette chaleur sous moi. Je la trouve réconfortante. Je suis bien ici.

Je m’adosse contre une stèle. Avant, je lis toujours le nom du propriétaire. J’aime beaucoup les lettres gravées. Elles sont belles, et douces au toucher. Je ne sais jamais trop si je dois dire pardon à la personne qui gît là. D’un côté, elle ne doit plus y accorder tellement d’importance. De l’autre, j’ai peur qu’elle prenne cela comme une offense. Pourtant je ne pense pas faire quelque chose de mal ; ce n’est qu’un peu de béton ou de marbre. Je ne vois pas vraiment cela comme un manque de respect. Après tout, c’est ceux qui restent qui ont construit cette tombe, et qui sont offensés. Mais le mort lui, est-ce qu’il n’a pas franchement autre chose à faire ? En admettant qu’il y ait autre chose à faire « après ». Je ne sais pas. Je crois que si je n’étais plus, mais qu’il y avait un après, je ne resterais pas à côté de ma tombe, en tout cas pas si j’avais le choix. J’irais plutôt voir du pays. Je pourrais même aller dans l’espace, qui sait. Si je n’étais plus, il n’y aurait pas grand-chose pour m’en empêcher. Je veux dire, ce n’est pas comme si j’allais manquer d’oxygène.

Je ferme les yeux, paisiblement. Cet endroit est le plus reposant que je connaisse. Quand je viens, je perds toute notion du temps. Tout semble si figé. Si immuable. Les tombes ne bougent pas, jamais. À peine vieillissent-elles. Quelques fois il en apparaît de nouvelles, mais c’est assez rare. Petit village, peu d’habitants, peu de morts. Les cimetières semblent toujours hors du temps. Comme si les minutes, les heures, ne s’écoulaient plus de la même manière une fois la porte franchie. Et en effet, pour tous les résidents, le temps ne s’écoule plus. Ils ne changeront plus, n’évolueront plus. Ils ne courront plus après les heures. Est-ce là une forme d’idéal ? Que le temps n’ait plus d’emprise sur nous ?

J’ouvre les yeux, et j’observe cette vaste étendue grise devant moi. Le ciel est dégagé aujourd’hui. Je peux sentir une légère brise jouer dans mes cheveux. La lune éclaire de son halo toute la scène ; elle lui confère cette aura irréelle et un peu mystique que j’aime tant. Le jour, les tombes sont toutes d’une couleur différente : gris foncé, gris clair, noires. La nuit, elles se ressemblent toutes. Elles sont uniformes. Les feuilles des arbres et leurs ombres sur le sol bougent doucement. Les tombes aussi ont une ombre. Invariable, stationnaire, comme elles. Je vois quelques brins d’herbe épars trembloter. Comme j’aimerais qu’ils se changent en une mer verdoyante, ondulante, recouvrant tout le cimetière ! Tous les cimetières. Du haut de mon bateau-tombeau, mon regard se perdrait dans cette immensité, prairie ondoyante, infinie. De l’herbe à perte de vue, jusqu’à l’horizon et au-delà. La nuit, je m’allongerais, je sentirais la pierre chaude contre mon dos, et je lèverais les yeux vers les étoiles. Là, le bruissement de la verdure me bercerait, et les astres me conteraient mille histoires. Puis le lever de soleil me réveillerait doucement. J’ouvrirais les yeux et je contemplerais, une fois encore, cet infini couleur émeraude.

Je lève mon regard vers la voûte céleste, et je m’y perds.

Commentaires

Joli, la déconstruction des phrases qui parsème le texte !

En fait, on dirait presque un exercice de style où tu résumes un être humain en un texte, ce recueil.
Je me laisse porter, ça me parle !
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lundi 9 avril à 14h44
Réussir à atteindre une telle profondeur en partant de ce sujet n'a pas dû être chose facile. Bien joué :)
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mardi 10 avril à 12h03
J'adore **
Rien à redire eheh <3 On retrouve la vision de quelqu'un qui aime les listes et les virgules et je ne peux m'empêcher de mettre de texte en parallèle avec un autre <3 Et j'adore ça !
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mardi 11 septembre à 23h53
La Bible des salons de thé !
« Passion de mon cœur, bonheur de mes yeux, adoration de mon âme ! » : comment dire ? Je m'en doutais^^
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mercredi 25 septembre à 09h00