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Aloyse Taupier

mardi 25 août 2020

Papier, violette, filante

Trente-cinquième papier

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Je sens le vent chaud qui caresse mes jambes nues. Il serpente entre les arbres, presque visible, palpable. Cette forêt, angoissante et sinistre en hiver, change dans son entièreté lorsque l’été arrive. Elle reprend des couleurs, comme si elle revivait, comme si elle s’épanouissait et s’ouvrait à nouveau. Comme si elle sortait d’un long sommeil comateux. Elle devient accueillante, et j’en fais le lieu privilégié de mes errances. Je n’y ai jamais croisé personne et c’est tant mieux, j’ai la sensation que c’est mon jardin secret comme ça. Mes pensées peuvent bien s’échapper, personne ne les découvrira ici. La forêt les garde. Et quand l’automne arrivera, elle les enfouira sous de gros tas de feuilles.

Le soleil tape, et illumine chaque chose, chaque être, comme s’il cherchait à les réchauffer en profondeur. Tout semble baigner dans une clarté éblouissante, quasi douloureuse. La forêt tout entière flamboie, et brille de mille, dix-mille, cent-mille feux. Si je plisse les yeux, j’ai l’impression de voir le grain de la lumière, sa texture. Plusieurs grains. Pendant un instant, je me demande si ce ne sont pas les photons que j’aperçois. Chacun animé d’une vie propre, petit être rebondissant sur les objets, désireux d’apporter leur goutte à l’océan lumineux. Se sont-ils lassés de ce sublime spectacle, ou s’émerveillent-ils toujours, à chaque fois ? Faire partie d’un cycle qui génère autant de beauté, voilà quelque chose que je voudrais faire. Tous les jours des nuances différentes, des teintes différentes, selon les saisons, les siècles, les endroits. Carmin, or, émeraude, améthyste, blanc, gris, onyx. Ou peut-être sont-ils toujours envoyés au même endroit, année après année, peut-être ne connaîtront-ils toute leur vie que le même morceau de feuille, de rivière, de bitume. Peut-être alors, se sont-ils lassés de ce spectacle, dont moi je ne me lasse pas. Peut-être ne sont-ils qu’envie de voyager, de découvrir le monde, et le potentiel de chaque endroit. Peut-être sont-ils très malheureux. Je cligne des yeux, et continue ma promenade.

Je passe près d’un vieux tulipier de Virginie en boutons ; il sera bientôt grandiose. C’est un arbre plutôt rare, je n’en ai pas croisé beaucoup au cours de mes pérégrinations. Ses fleurs possèdent quelque chose de particulier : l’inattendu bien sûr, mais au-delà, elles ne semblent pas réellement à leur place. Elles ont la forme, elles ont l’apparence, mais elles n’ont pas les couleurs des fleurs qu’on peut d’ordinaire trouver. Comme si elles n’appartenaient pas vraiment à ce monde, mais qu’elles se camouflaient juste. Et puis soyons sérieux, des tulipes, sur un arbre ? Il ne manquerait plus qu’elles parlent pour avoir leur place dans Alice au pays des merveilles. Je les entends se moquer de moi. Et j’aimerais dire que ce n’est pas très gentil ; elles sont tellement hautaines. Elles ont des yeux avec de longs cils et une bouche effrayante. Je ne me sens pas très bien tout à coup. Comme dans une toile très collante. L’étreinte de la fatigue certainement, je n’ai pas dormi depuis trop longtemps. J’ai un sommeil quelque peu « agité » et je ne cherche pas tellement à y remédier non plus. Je pourrais, probablement, je devrais même, car cela devient envahissant, mais j’ai toujours mieux à faire. Comme rempoter mes hortensias, ou trier les vieux cartons du grenier.

J’ai passé la journée ici, et il va bien falloir que je rentre. Mais je vais attendre encore un peu. La nuit est en train de tomber et je veux profiter de cette forêt dans la pénombre. Elle bruisse et vit différemment dans l’ombre, comme nous tous. Je vais m’asseoir contre un tronc pour patienter ; j’ai aperçu tout à l’heure un carré d’herbe qui m’avait l’air engageant.

Je sens l’irrégularité du bois dans mon dos, et je l’apprécie. C’est peu confortable, mais j’aime quand les choses ne sont pas lisses, quand elles sont nuancées, crevassées même. Rien n’est véritablement lisse. Dire le contraire serait se voiler la face, dans ce monde où tout doit être poli. L’herbe s’est rafraîchie sous moi, l’air est tiède, et je sens que je commence à m’endormir. Je n’ai pas besoin de lever les yeux pour savoir que la voûte céleste est magnifique ce soir, et qu’elle veille sur moi. Je sens sa présence, immuable ; elle m’apaise. Peut-être des étoiles filantes traversent-elles, mais qu’importe, je n’ai pas de vœu à faire. Je ferme les yeux, et me laisse bercer par le bruit des feuilles et des grillons. Quand je les entrouvre à nouveau, une minute, une heure plus tard, une lumière sur ma gauche m’interpelle. Elle est juste à côté de ma main, elle irradie. L’esprit ensablé, je mets du temps à comprendre ; puis je percute, il s’agit bien d’un ver luisant ! Je n’en avais encore jamais vu ici ! Cette petite loupiotte m’émerveille autant que lorsque j’étais enfant, et que je voulais en capturer pour les mettre dans ma cabane. Un éclat si minuscule, et si vif pourtant. Il tient bon malgré le vent qui se lève, et vacille à peine. Métaphore de ce que nous souhaiterions tous être. Indestructible, vaillant, fort. Avoir notre propre éclat, unique, qui ne ternit jamais. Il s’amplifie seulement et atteint les autres de son écho. Écho qui deviendra vaguelettes, puis déferlantes.

Je rouvre les yeux, et la lumière a disparu. Je ne me souviens pas les avoir fermés. Je suis triste d’avoir raté le départ de la lueur. Je sens la solitude se nicher au creux de ma cage thoracique ; elle n’attendait que ça. Je crois que l’épuisement me gagne, et le sommeil me guette. Je ne suis pas si mal ici après tout, le vieux chêne contre lequel je m’appuie me tient compagnie. Il est trop tard pour rentrer et je n’en ai plus le courage ; si tant est que je l’aie jamais eu. Je croise les mains sur mes jambes étendues, et referme les yeux. Je frissonne un peu, l’air s’est rafraîchi. Malgré tout, je me sens bien. Peu à peu, je laisse le brouillard envahir mon esprit jusqu’à ce qu’il imprègne tout, recouvre tout, y compris ma conscience. J’oublie que j’ai froid.

Commentaires

Mais, cette fin x')
Pauvre personne, je la plains, ce doit être très dur de vivre avec une colère pareille en soit. C'est bien de chercher à l'évacuer... mais c'est peut-être un peu extrême ! Elle ne peut pas, je sais pas, regarder des films catastrophe, histoires qu'ils servent enfin à quelque chose ? ^^'
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mercredi 26 août à 08h10