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Aloyse Taupier

lundi 25 octobre 2021

Lierre

Chapitre 2

Madame Fujirawa attendit, placide, que le silence revienne de lui-même. Ce qui advint finalement lorsque le besoin de réponses se fit plus important que celui d’exprimer son excitation.

« Je comprends vos questionnements et l’effet qu’une telle annonce peut produire, mais tout vous sera expliqué en temps et en heure – si vous me laissez poursuivre. Je disais donc que cette école est une école de magie. Et par magie, j’entends effectivement le type de magie que vous avez pu voir dans les films ou les livres, même si comme vous pouvez vous en douter, c’est un peu plus compliqué que cela. Disons que nous parlons ici de la magie qui permet de lancer des sorts et de faire certaines choses que vous n’auriez pas l’habitude d’observer d’ordinaire. »

Le soleil venait de disparaître derrière les montagnes, n’éclairant désormais que très peu la bâtisse biscornue. Les ombres s’allongeaient, l’herbe bruissait, et Madame Fujiwara fit un petit geste de la main. Toutes les lampes extérieures du château s’allumèrent simultanément. Le rideau de lierre à droite de la directrice s’écarta de lui-même pour révéler une large torche qui flambait. Toute l’assemblée en resta sans voix ; la moitié était même complètement bouche bée. Ambrose avait l’impression que son cœur allait exploser tant diverses émotions l’envahissaient. Stupéfaction, émerveillement, excitation se battaient à l’intérieur d’ellui.

« J’ai bien conscience qu’il est extrêmement difficile de croire que la magie puisse exister, et qu’il y ait en plus une école où apprendre à la maîtriser. C’est contraire à tout ce que vous connaissiez et à tout ce qui a pu vous être inculqué. C’est pourquoi nous vous fournirons autant de garanties que possible afin que vous puissiez constater par vous-mêmes d’une part, la véracité de cette information, d’autre part le sérieux de notre école, la qualité de notre enseignement, et le soin que nous prenons de nos élèves. »

Ambrose, qui dévorait la scène des yeux, remarqua que les astres sur le chemisier de Madame Fujirawa brillaient d’une lueur envoûtante, et que des étoiles filantes traversaient parfois le tissu.

« Avant cela, nous allons rentrer à l’intérieur afin que vous soyez plus confortablement installé·e·s. Vous rencontrerez également certains professeurs, qui pourront vous renseigner eux et elles aussi sur le fonctionnement de l’école, et sur leur matière. Une fois que vous serez prêt·e·s, nous passerons dans mon bureau afin de terminer l’inscription, et de discuter de l’installation de votre enfant dans notre école. Ou le cas échéant, de votre refus. Suivez-moi, je vous prie. »

Ambrose se retourna vers ses parents, les yeux brillants de joie. Ils lui sourirent, puis se regardèrent tous deux du coin de l’œil, perdus. Ils suivaient Ambrose de près, se demandant s’ils devaient vraiment croire à toute cette étrange histoire, maintenant qu’ils y étaient impliqués, et faire confiance à cette directrice. Ils voyaient déjà qu’Ambrose était pleinement convaincu·e, et décidé·e à s’inscrire dans cette école sans la moindre hésitation, mais ils avaient la responsabilité de s’assurer que cet établissement était fiable, et qu’il n’était pas dirigé par une organisation bizarre qui aurait pour but d’embrigader leur enfant.

Le hall d’entrée était vaste, pavé de dalles claires et pourvu d’imposantes volées de marches au nord, à l’est et à l’ouest de la pièce. Comme pour tous les escaliers de l’école, des rampes d’accès translucides et miroitantes avaient été… « construites » sur les côtés. Des chaises et des tables étaient disposées en rangées, et certains membres de l’école les attendaient déjà. Tout le monde observa le lieu, ébahi, se dévissa le cou pour contempler la hauteur de plafond, et finit par s’assoir.

Une fois que tous·tes furent installé·e·s, Madame Fujirawa continua son allocution :

« Je prends le temps de faire ce discours, car je pense qu’il est important que vous ayez toutes les clés en main pour pouvoir faire un choix éclairé. Cela permettra également aux élèves d’en découvrir plus, et d’envisager ou non de poursuivre leur scolarité ici. En effet, comme pour n’importe quelle école, rien ne vous oblige à venir ici si vous ne le voulez pas. Certaines conditions, comme l’internat obligatoire, peuvent vous déplaire, et peut-être que vous ne nous ferez toujours pas confiance même après les preuves que nous vous apporterons. Il est évident que nous ne vous forcerons à rien. Vous avez été contacté·e·s parce qu’il a été détecté chez vous un certain potentiel magique. Selon nous, il est normal que l’opportunité de développer ce potentiel vous soit proposée. Libre à vous, ensuite, d’accepter cette proposition ou non. »

Comme si qui que ce soit pouvait refuser de participer à quelque chose d’aussi incroyable, se dit Ambrose, surexcité·e. Iel ne pouvait s’empêcher de sourire.

« Pour vous donner un bref aperçu de notre fonctionnement, voici en quelques mots le déroulement du cursus. Notez qu’en dehors de la teneur « magique » de notre établissement, son organisation est similaire à celle de n’importe quel lycée. Le cursus se fait en trois ans, à la suite desquels les élèves peuvent faire le choix d’arrêter là et de se lancer dans la vie active, ou de partir en apprentissage pour parfaire leurs compétences pratiques. La possibilité de continuer à étudier ici pour trois ans supplémentaires leur est également offerte, dans le but de se spécialiser dans un domaine précis et, généralement, de poursuivre des recherches. »

Si les futur·e·s élèves étaient de toute façon déjà séduit·e·s par l’école, les parents, eux, se jetaient encore pour la plupart des regards perplexes.

« Je tiens à rassurer les parents qui s’inquiètent tout naturellement pour le futur de leur protégé·e : les débouchés sont nombreux suite à nos enseignements, et même si votre enfant faisait le choix de se diriger vers un métier indépendant de la magie après son cursus, il n’aurait aucun problème pour bifurquer vers des études supérieures dites « classiques » ni aucun retard. Nous avons de nombreux élèves qui ont fait chacun de ces choix, et pour lesquels tout s’est parfaitement déroulé. Nous mettons d’ailleurs au besoin nos élèves, ainsi que leurs parents, en contact avec nos anciens lorsqu’ils désirent avoir des conseils sur leur parcours. D’un point de vue administratif, un certain nombre de justificatifs de scolarité pourront vous être fournis si nécessaire.

« Je souhaite également insister sur le fait que, malgré mon emploi du temps chargé, je reste à la disposition de chaque élève qui en ressentirait le besoin durant ses années ici. N’hésitez donc pas à venir me trouver dans mon bureau si vous rencontrez des problèmes. Je ferai mon possible pour régler la question et vous soutenir. N’hésitez pas non plus à en parler à vos professeurs, qui sont tous des personnes… très humaines, dit-elle en esquissant un demi-sourire, et compétentes. »

Plusieurs enseignant·e·s et membres de l’administration se trémoussèrent, mal à l’aise, d’autres laissèrent elleux aussi échapper un discret sourire.

« Bien. Prenez votre temps, réfléchissez autant que vous le souhaitez, posez toutes vos questions, que ce soit à moi ou aux différents professeurs. Ensuite, je proposerai aux parents de passer à toutes les formalités qu’implique l’inscription. »

Le début de soirée se déroula dans un flou vaporeux, teinté par toutes les informations extraordinaires à assimiler, par l’étonnement, la surprise et la perplexité, par l’infinité de bizarreries qui défilait devant leurs yeux, et par certains sorts déployés. Le professeur d’Étude de la flore magique fit notamment se trémousser avec vigueur son immense monstera en pot, ce qui déclencha cris et rires dans la salle. Puis finalement, la compréhension tardive et lourde de sens que oui, toute cette histoire semblait bien réelle, cette école sérieuse, et ancienne, et qu’Ambrose avait donc un « potentiel magique », s’installa dans l’esprit de ses parents et dans le sien. Iel allait pouvoir apprendre à « faire » de la magie, quoi que cela veuille dire.

Avant d’aller retrouver la directrice dans son bureau, et après avoir posé toutes les questions dont ils avaient besoin pour prendre une décision raisonnée, les parents d’Ambrose prirent un moment avec ellui pour discuter. Iels sortirent dans l’air doux du soir et allèrent s’installer dans l’herbe, près des canaux.

« Ambrose, est-ce que tu es bien sûr·e de vouloir t’inscrire dans cette école ? osa son père.

— L’internat risque d’être difficile pour toi, tu n’auras quasiment plus de contacts avec tes amis, ou avec nous, hésita sa mère. Cela va faire un grand vide d’un coup. »

Au fond d’elle, elle n’était pas tout à fait convaincue qu’Ambrose soit capable de résister à la solitude. Elle n’était pas certaine non plus qu’iel arrive à s’intégrer et à se plaire dans cette nouvelle école. Elle savait son enfant profondément timide, et elle avait vu les efforts qu’iel avait dû fournir durant toute sa scolarité pour se faire quelques amis. Même ainsi, elle constatait souvent qu’iel était mal à l’aise et distant·e avec les autres, comme s’iel ne savait pas quoi dire, ou comment agir. S’iel allait au lycée près de chez eux, au moins, iel serait en terre connue. Et ils seraient là pour lui apporter du soutien. Elle continua :

« Tu n’as jamais vécu au beau milieu de la campagne comme ici. Tu vas être confronté·e à beaucoup de nouvelles choses, et peut-être que certaines t’effrayeront. Est-ce que tu y as bien réfléchi ? Je comprends que la possibilité d’apprendre la magie te fasse dire oui sans hésiter, mais il n’y a pas que de la magie dans la vie quotidienne. Je m’inquiète pour toi ; j’ai peur que tu te sentes très isolé·e.

— Et puis j’ai l’impression que t’engager dans ce monde magique risque de t’éloigner d’un monde plus normal, de notre monde, ajouta son père d’une voix basse. Et si tu veux retourner à une vie plus conventionnelle, sans magie, après tes études ? Est-ce que ce sera vraiment possible ? Tu ne crois pas que ça te manquera ? J’ai peur que cette école te distancie de nous. La directrice a évoqué qu’il n’y aurait aucun problème pour que vous reveniez à un quotidien classique, mais comme ta mère, ton entrée dans cet établissement m’inquiète. Je sais que nous avons promis de te soutenir jusqu’au bout, et nous le ferons, mais nous voulons juste nous assurer que tu es certain·e de ton choix. »

Au-dessus d’elleux, la nuit était claire et les étoiles paraissaient scintiller plus fort qu’à l’accoutumée. Les lumières du château se reflétaient par endroit sur l’eau des canaux, et il semblait que des traînées d’or voyageaient au fil des courants. Ambrose y plongea son regard. Incapable de réfléchir à cet instant, transporté·e par l’excitation, iel avait cependant beaucoup pensé de son côté durant les longs mois d’attente qui avaient suivi l’arrivée de la lettre. Iel avait envisagé toutes les possibilités, et toutes les conditions qui pouvaient être requises pour intégrer l’école, puis iel avait pris sa décision. Quoi qu’il lui en coûte, iel étudierait dans cette école ; c’était son rêve le plus cher. Même si cela se passait mal, iel devait essayer, sinon iel le regretterait toute sa vie. Sinon, iel ne saurait jamais ce qu’iel avait manqué, et jusqu’à son dernier souffle, iel se demanderait ce qu’il se serait produit s’iel avait fait un choix différent. Iel ne pouvait vivre avec cela, encore moins maintenant qu’iel avait pu observer tout ce que ce monde magique avait à lui offrir. Iel brûlait d’intégrer cette école, d’apprendre, de découvrir. Iel brûlait de vivre ici. Ses parents le voyaient bien dans son regard qui pétillait. Ils n’étaient pas sûrs d’avoir jamais connu Ambrose aussi flamboyant·e, aussi plein·e d’énergie, aussi heureux·se. Ambrose tenta de répondre à leurs inquiétudes de son mieux :

« Je sais que cela ne va pas être facile. Je n’ai pas envie de vous quitter, je sais que vous allez me manquer, et que mes amis me manqueront aussi. »

Iel chercha ses mots un moment, balbutia, s’agita, mal à l’aise, puis se reprit.

« Je sais que la séparation sera difficile. Je ne connaîtrai plus personne, je n’aurai plus mes habitudes ni mes repères, et je vais certainement être perdu·e. Mais ma décision est prise, et rien ne pourra me faire changer d’avis. J’ai beaucoup réfléchi, ces derniers mois. Je vais sûrement rencontrer beaucoup d’obstacles ; j’aurais parfois envie de tout abandonner et de rentrer à la maison. Je le sais. Mais pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs et manquer cette chance. Pour moi, c’est aujourd’hui que tout commence. Je veux aller dans cette école. C’est ce que je veux le plus, je veux étudier là, de tout mon cœur. S’il vous plaît. »

Devant la détermination d’Ambrose, devant sa passion, ses parents ne pouvaient qu’être touchés, et fiers. Ils avaient également la conviction que, plus jeunes, eux aussi auraient certainement tout donné pour pouvoir vivre cette expérience. Et qu’ils auraient haï jusqu’à la fin des temps la personne qui les en aurait empêchés. Ils ne pouvaient être cette personne. Voir Ambrose grandir dans le regret et la rancœur à leur égard, simplement parce qu’ils avaient été trop effrayés pour lui laisser tenter sa chance, leur briserait le cœur. Iel avait fait son choix et ils devaient l’accepter. Ils soutiendraient toujours ses espoirs, quoi qu’il arrive. Ils gardèrent donc le reste de leurs inquiétudes pour eux, contemplèrent Ambrose un moment, puis lui firent signe qu’ils comprenaient.

Ambrose, débordant d’émotions intenses et diverses – le ravissement que la magie existe vraiment, l’euphorie absolue de pouvoir bientôt l’utiliser et d’intégrer l’école, la joie de découvrir un tout nouveau monde qui s’offrait à ellui, mais aussi l’appréhension de ne pas réussir, l’angoisse d’être rejeté·e par les autres, la tristesse de devoir quitter sa famille, et ses amis – se mit à pleurer à gros sanglots dans les bras de ses parents.

Progressivement, iel se calma. Une fois apaisé·e, porté·e par la hâte et l’émerveillement plutôt que par ses préoccupations, Ambrose se dirigea avec ses parents vers le bureau de la directrice. Celle-ci s’assura que tout était bien compris, leur fit signer divers papiers relatifs à la scolarité d’Ambrose, ainsi qu’un contrat stipulant qu’iels ne devaient révéler aucune information sur l’école sauf cas de force majeure (péril imminent, fin du monde, etc.), et les félicita d’avoir pris cette décision. Elle se dit certaine qu’iel se plairait à l’école, qu’iel se ferait vite des amis, et que son amour de la découverte lui serait un grand atout. Elle indiqua que, comme expliqué dans la lettre, iel emménagerait le soir même, mais qu’iels avaient un peu de temps avant le repas – qui se déroulerait exceptionnellement à 21h – pour se dire au revoir. Ses affaires, qu’iel avait déjà préparées, arriveraient le lendemain. Madame Fujirawa réitéra qu’elle se tenait à leur disposition s’iels avaient encore des questions, et rappela à Ambrose qu’elle serait toujours disponible pour ellui tout au long de l’année.

Iels sortirent du bureau et retournèrent s’installer dehors, près d’un des petits canaux où l’eau chantait. Là, iels prirent le temps de discuter de tout ce qu’il s’était passé en quelques heures, de l’école, de leur surprise à la vue des bâtiments, puis des sorts, et de leur stupeur lorsqu’iels avaient compris que la magie semblait bel et bien réelle. Iels parlèrent avec animation, rirent, se taquinèrent, et finalement, le moment de se dire au revoir arriva. Iels se prirent dans les bras, se serrèrent fort, et les parents d’Ambrose lui firent promettre de les appeler régulièrement, de leur écrire des lettres, et de venir leur rendre visite aux prochaines vacances. Ambrose promit, bien sûr, leur fit un dernier signe de la main, et les regarda s’éloigner, le cœur lourd. Ils contournèrent le château, puis rejoignirent l’escorte qui raccompagnait tous les parents d’élèves. Lorsqu’ils eurent complètement disparu, Ambrose se retourna et contempla l’école qui se déployait devant ellui.

L’excitation emplit à nouveau son esprit ; iel aurait voulu crier de bonheur. De la magie ! Une école de magie ! Des cours de magie ! Des sorts ! Iel avait toujours espéré que quelque chose du genre se produise, mais en grandissant, iel avait commencé à abandonner l’idée que cela lui arrive un jour. Et pourtant ! Finalement ça y était ! Iel allait intégrer la seule et unique école de magie du pays ! Iel avait si hâte ! Iel se demandait ce qui se cachait derrière chaque fenêtre, voulait savoir où étaient les salles de classe, le contenu des cours, connaître les professeurs : iel voulait tout assimiler, tout absorber, et le plus vite possible. Iel avait déjà attendu toute sa (courte) vie et ne voulait plus attendre une minute de plus. Iel grimpa à nouveau les marches qui menaient jusqu’à la porte, et s’arrêta malgré tout pour effleurer le symbole gravé au centre du bois, une sorte de branche de lierre stylisée. Iel caressa aussi le véritable lierre qui recouvrait les murs, quelques instants. Iel voulait faire durer ce moment de plénitude, cet instant résolument parfait. Puis iel prit une grande respiration, inspira, expira lentement, et poussa la lourde porte pour rentrer et rejoindre ses futurs camarades. Ici, et maintenant, commençait sa nouvelle vie.

***

Les élèves étaient rassemblé·e·s au centre du hall et attendaient impatiemment qu’on vienne les chercher. Ambrose remarqua que toutes les personnes qu’iel avait pu voir à l’extérieur n’étaient pas présentes ; certaines avaient dû faire le choix de ne pas s’inscrire. Iel promena son regard sur ses futur·e·s camarades, observa que certain·e·s discutaient déjà activement et faisaient connaissance, alors que d’autres, comme ellui, restaient un peu en retrait. Sans être introverti·e, iel aimait prendre son temps pour apprendre à découvrir les gens, et se rapprocher ensuite de ceux avec lesquels iel se sentait le plus à l’aise. Iel remarqua qu’une part significative des élèves avait un accent, plus ou moins léger. En effet, n’importe qui pouvait intégrer l’école à condition de comprendre et d’écrire le français de manière à peu près claire. Ambrose se demanda alors si d’autres écoles de magie existaient, un peu partout dans le monde, et si elles étaient toutes aussi bizarres que celle-là. Parmi les élèves, iel repéra que le garçon au longs cheveux noirs et son groupe d’amis, qu’iel avait aperçus plus tôt, étaient tous présents.

Madame Fujiwara vint finalement les chercher :

« Un peu de silence, s’il vous plaît. Je vais maintenant vous emmener dans la salle du réfectoire. Tous les élèves des classes supérieures y sont déjà ; iels sont arrivé·e·s hier pour vous éviter la cohue de la rentrée. Vous pourrez ainsi faire connaissance avec tout le monde, et leur poser des questions si vous en avez envie. Vous êtes cependant prié·e·s de les laisser manger tranquillement. Suivez-moi. »

Des murmures anxieux s’élevèrent du rang qui se forma derrière elle. Ambrose était à la fois excité·e de découvrir une nouvelle salle et de s’immerger dans l’ambiance de l’école, et angoissé·e de l’accueil qu’on allait lui réserver. Ses précédentes années scolaires n’avaient pas créé que de bons souvenirs. Iel se demandait aussi si la nourriture que l’on mangeait ici serait différente de celle qu’iel connaissait. Iels empruntèrent le grand escalier de droite et arrivèrent devant une arche aérienne. Iels s’arrêtèrent face à une haute porte blanche à deux battants, décorés de dorures. De longues branches de lierre étaient également peintes dans les mêmes tons et grimpaient sur toute la hauteur du bois. De l’extérieur, presque aucun son ne semblait filtrer ; c’était à peine si l’on entendait un bourdonnement continu. Les odeurs qui émanaient de la salle, en revanche, alléchaient déjà Ambrose et ses camarades. La directrice ouvrit largement la porte, et Ambrose fut frappé·e par le brouhaha causé par les centaines de voix qui se mélangeaient à l’intérieur. Iel entraperçut les visages se tourner vers elleux, et les yeux observer son groupe avec curiosité ; iel sentit son estomac se tordre. Madame Fujirawa s’avança, et tapa deux fois dans ses mains pour obtenir le silence :

« Voici nos nouveaux et nouvelles élèves. Je vous demanderai de leur faire un accueil chaleureux, d’être patient·e·s avec eux, et par pitié : ne les faites pas tourner en bourrique et gardez vos petits tours pour vous, ce n’est que leur premier jour », dit-elle d’un ton exaspéré.

Elle fit ensuite un signe de la main au groupe d’Ambrose :

« Voilà, vous pouvez vous installer où vous le désirez. Prenez le temps de manger, profitez du repas : j’espère que vous apprécierez les plats préparés par nos cuisines. Nous nous retrouverons après. »

Elle se dirigea alors vers une table où étaient déjà présents d’autres professeurs et membres de l’administration. Le brouhaha éclata à nouveau dans la pièce, et chaque tablée bougea, poussa, se décala, et fit de la place pour les nouveaux·elles élèves. Les plus âgé·e·s les incitaient à les rejoindre, alpaguaient les plus timides pour qu’iels ne se sentent pas laissé·e·s de côté, et tout ce petit monde finit par être bien installé devant une assiette, en attente du repas. Ambrose suivit le mouvement, et fut bientôt assis·e entre un garçon d’à peu près son âge, grand, les cheveux courts et noirs, la peau cuivrée, et une élève de deuxième ou troisième année avec des cheveux roux flamboyant, une peau pâle, et une coiffure tressée très élaborée. Tout le monde parlait en même temps, et Ambrose était assailli·e par mille détails. Iel se recula légèrement sur son siège pour se mettre en retrait, et laissa son regard découvrir la pièce le temps que l’effervescence retombe un peu.

Iel comprit que le réfectoire était cette vaste pièce parsemée de hautes fenêtres en arrondi qu’iel avait observé avec ses parents à leur arrivée, à droite de la maison centrale et du hall. Iel contempla l’extérieur, illuminé par les lumières de l’école, et tout semblait calme, paisible, en contraste avec l’intérieur. Iel pouvait apercevoir la prairie qui s’étendait à perte de vue, et par endroits deviner les canaux lorsque l’éclat de la lune s’y reflétait. Iel revint à la pièce en elle-même, et se souvint que le plafond lui avait paru vitré. Iel leva les yeux au ciel et, estomaqué·e, se rendit compte que l’immensité de la voûte céleste les surplombait. Le tableau était magnifique, et iel savait déjà qu’iel serait toujours ravi·e de prendre ses repas ici le soir. Iel se dit aussi que la salle devait être très agréable en journée. L’idée d’avoir toujours le ciel au-dessus d’ellui l’enchantait. Iel resta fixé·e un instant sur la toile de la nuit et les étoiles qui y brillaient. Puis, iel regarda à nouveau autour d’ellui, et scruta les autres. Iel remarqua que certain·e·s portait de petites touches de couleurs spécifiques, à travers des accessoires, des vêtements, des teintures de cheveux. Du bleu sombre, de l’orange profond pour d’autres, et parfois du vert clair, vif. Parfois rien. Iel sentait qu’il y avait une logique dans ces couleurs, mais iel avait du mal à la déterminer clairement à partir de ces éléments. Iel n’eut pas l’occasion de se poser la question plus longuement : bientôt, les conversations s’apaisèrent, et l’arrivée des plats les fit taire tout-à-fait, les remplaçant par des onomatopées d’émerveillement de la part des nouveaux·elles.

Du fond de la salle s’ouvraient d’autres portes, et une dizaine de chariots à roues chargés à ras bord de mets divers commençaient à s’engouffrer dans la pièce en sillonnant les airs, passant au-dessus des tables et dans les allées, s’abaissant près des élèves pour être déchargés. Les plus jeunes prenaient les plats avec leurs mains et les déposaient sur le bois verni, d’autres utilisaient une sorte de baguette pour les faire léviter, d’autres encore ne semblaient avoir besoin de rien pour que tout arrive à bon port sur la table. Les yeux d’Ambrose brillaient de ravissement, pour moitié à cause de la nourriture, mais aussi de voir à nouveau la magie en action. Rapidement, toutes les tables furent couvertes de vaisselles en tout genre, les chariots désormais vides regagnèrent leurs cuisines, et tout le monde s’apprêta à manger. Ambrose découvrit qu’une partie des mets proposés était très conventionnelle, mais qu’une part non négligeable… l’était beaucoup moins.

Des plats de nombreux pays avaient été préparés, pour souhaiter la bienvenue aux élèves de tous horizons. L’école désirait ainsi que chacun et chacune puisse trouver un plat qui le ou la réconforte, qui puisse lui donner l’impression d’être un peu à la maison, et retarde le sentiment inexorable de manque et de nostalgie qui finirait par faire son apparition ponctuelle. Devant la surprise d’Ambrose, sa voisine rousse prit la parole :

« Ҫa en fait des plats différents, pas vrai ? Les élèves viennent de partout donc l’école essaie de faire plaisir à tout le monde, surtout le jour de la rentrée. Dans l’année le repas est forcément moins… copieux, mais du coup ils alternent les spécialités de chaque pays. D’ailleurs, chacun·e est encouragé·e·e à donner les recettes qu’iel aime aux cuisines pour qu’elles puissent le reproduire. Si tu as un plat préféré, il faut absolument que tu le leur dises ; j’adore goûter de nouveaux trucs !

— Tu en as déjà donné toi, des recettes ? lui demanda timidement Ambrose.

— Bien sûr, quand je suis arrivée il y a deux ans je leur ai confié la recette de colcannon de ma mère, un jour où elle me manquait trop. C’est un genre de purée de pommes de terre avec du chou. Et l’année dernière, c’est ma propre version du Irish apple cake que je leur ai transmise pour que tout le monde puisse y goûter. Y a pas à hésiter, ils sont très gentils aux cuisines ! »

Sur ces mots, elle se détourna d’Ambrose pour revenir à son repas, les yeux brillants d’envie, et l’air concentré de celle qui doit prendre un certain nombre de décisions pour savoir de quoi remplir son assiette. Si Ambrose avait dû choisir un plat particulièrement réconfortant pour ellui, ç’aurait probablement été le pot-au-feu, mais il faisait encore trop chaud pour qu’il soit préparé. Après une brève réflexion, iel retourna ellui aussi au dîner qui l’attendait.

Sur les tables, on pouvait notamment repérer des bouchons aux légumes, du curry japonais, du zaalouk d’aubergines, différents mafés, des samoussas encore fumants, des frites, des gratins de chouchou, diverses pâtes, des chakalakas épicés, des salades fraîches, des galettes de manioc, du gaspacho, des ravioles multicolores, des bonbons piments, du sukuma wiki d’un vert profond, et des dizaines d’autres plats. Ambrose n’en connaissait pas la plupart et se rabattit donc sur des ravioles, et des frites. Mais iel observa son voisin de table se servir abondamment de la préparation aux aubergines, ce qui l’incita à faire de même. Au moins, tous ces plats étaient composés d’ingrédients qui paraissaient normaux.

Il y avait cependant parmi eux des mets plus étranges. Un saladier rempli de grosses billes jaunes, parfaitement rondes, qui ne cessaient de grossir et de rapetisser. Elles étaient saupoudrées d’une poudre bleue et verte. Des bâtonnets frits d’un légume violet marbré de rose, qui était présent dans certaines salades, découpé en forme de fleurs. De petits grains verts transparents, protégés par de grandes feuilles crénelées qui se refermaient sur eux et s’intriquaient. Il fallait les écarter à chaque bouchée, sinon elles reprenaient leur place. Pas question de les couper, comme certain·e·s élèves s’en rendirent rapidement compte, car les grains séchaient alors instantanément, noircissaient, et se rétractaient sur eux-mêmes. Et il y avait encore bien d’autres plats inattendus qui intriguaient Ambrose.

Iel hésitait à les goûter. Iel voulait tout connaître de ce nouveau monde, mais savait aussi qu’iel était plutôt difficile, et que les textures ou les goûts pouvaient facilement l’écœurer. Finalement, iel se décida à essayer les grosses billes jaunes, et garda le reste pour plus tard. Avec appréhension, iel en mit une première dans sa bouche. À son grand étonnement, c’était délicieux ! Elle avait le goût des légumes revenus dans du beurre longtemps, qui deviennent fondants, doux, et qui répandent leurs saveurs sur le palais. La poudre légère, quant à elle, était acidulée, et venait parfaitement rehausser la douceur des billes. Pour Ambrose, elle ressemblait un peu à de la betterave confite dans du vinaigre. Elle n’était pas trop acide et laissait un arrière-goût agréable sur la langue. Iel dut se retenir de dévorer le saladier entier, car iel savait qu’iel devait garder de la place pour les desserts : Ambrose avait toujours été plus sucré que salé. Iel se tourna plutôt vers son voisin de table :

« Eh, tu devrais goûter ces grosses billes jaunes, c’est super bon ! J’étais pas convaincu·e au début, mais promis tu devrais tenter. »

Le garçon, surpris qu’Ambrose lui adresse la parole, hésita :

« Ah ? Elles ont l’air un peu bizarres… Tu es sûr que c’est bon ?

— Sûr·e et certain·e, tu peux y aller. Si tu n’aimes pas… je te donnerai une part d’un de mes desserts comme consolation.

— Un de « tes » desserts ? T’as prévu d’en prendre combien ? lui demanda-t-il en riant. Mais okay, ça me va ! »

Il plongea alors sa cuillère dans le saladier, et enfourna trois billes dans sa bouche. Il n’était pas du genre à faire les choses à moitié. Bientôt, un sourire éclaira son visage, et il sembla savourer longuement. Intérieurement, il se promit de garder cette personne de bon conseil sous le coude. Il se dit aussi que, peut-être, iels se recroiseraient en classe et auraient l’occasion de faire connaissance. Finalement, il avala et regarda à nouveau Ambrose :

« C’était génial ! C’est plutôt moi qui devrais te donner une part de mon dessert pour te remercier de la découverte.

— Je t’ai vu prendre de ce… truc à l’aubergine, et c’était vraiment bon, alors on est quitte, lui répondit Ambrose, un peu gêné·e.

— Du zaalouk ? C’est un de mes plats préférés, toujours une valeur sûre ! Ravi de te l’avoir fait goûter, du coup. On est quitte, allez ! »

Alors qu’il terminait sa phrase, les chariots vides revinrent afin de débarrasser les assiettes sales et les plats. Ils emportèrent tout à la cuisine et rapportèrent dans la foulée les desserts. Ambrose avait du mal à cacher son enthousiasme, ainsi que le sourire qui s’étendait involontairement et systématiquement sur son visage à la vue de mets sucrés. Ses attentes ne furent pas déçues. Comme pour les plats salés, certains desserts étaient conventionnels, d’autres beaucoup moins. Il y avait entre autres du tiramisu à la framboise, des éclairs à différents parfums, des macatias encore chauds, des grhibas aux amandes, du gâteau au chocolat, des cupcakes colorés, des dorayaki dorés, des gulabs parfumés, des tartes diverses, des mandazis, des laddus scintillants, des bananes vertes au lait de coco, ou encore des fraisiers à la garniture chatoyante. À mon tour, se dit le voisin d’Ambrose. Il lui tendit une sorte de beignet en spirale, qui ressemblait à de la dentelle :

« Goûte. C’est une zlabia. Ҫa tu vois, c’est mon dessert préféré de tous les temps. Avec les chebakia, mais il n’y a pas l’air d’en avoir ici. J’adore la crème de marrons aussi. Mais c’est pas encore tout à fait la saison. »

Ambrose l’attrapa délicatement, et en croqua un morceau. La pâte frite était parfaitement cuite et répandait tous ses arômes. C’était à la fois craquant et fondant, et le sucre gouttait sur sa langue et saturait tout son palais. C’était délicieux. Vraiment délicieux. Iel regarda l’adolescent avec une admiration et un respect renouvelé. Quelqu’un qui lui faisait goûter d’aussi bonnes choses était forcément une merveilleuse personne. Iel ne dit rien, mais son voisin pouvait voir dans ses yeux qu’Ambrose appréciait grandement la pâtisserie, et l’attention. Après avoir terminé sa zlabia, Ambrose décida de tester un peu de tout. Son amour des desserts n’avait pas de limite, et on lui répétait souvent qu’iel devait avoir un deuxième estomac pour le sucré. Tout lui plut, et iel conseilla à son voisin de tester les dorayaki, ces espèces de pancakes à la pâte de haricot rouge qui pour ellui ressemblait à de la crème de marrons. Forcément, il adora.

Ambrose se tourna finalement vers des desserts plus… magiques. Iel était déterminé·e à les essayer tous, et avait moins de réserves qu’avec le salé. Iel plongea d’abord sa cuillère dans une coupe de glace, ou de granité, difficile à dire. Les différentes couches formaient un dégradé du vert foncé au vert clair, et sur le dessus étaient saupoudrés des cristaux iridescents qui passaient par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Lorsqu’Ambrose prit sa première bouchée, iel faillit pousser un cri de surprise. Les strates inférieures étaient froides, mais les cristaux, une fois brisés, laissaient s’échapper un liquide tiède et piquant comme de l’acide citrique, qui se mariait très bien avec le goût fruité et frais des glaces vertes. Iel enchaîna ensuite sur des boules flottantes transparentes, comme des bulles, pleines de fumées. La coque était en sucre soufflé, et lorsqu’iel croqua dedans, il sentit la vapeur se transformer en barbe à papa dans sa bouche. Chacune avait un parfum différent et iel ne tomba jamais sur le même.

Iel goûta des gâteaux où il semblait neiger du sucre glace en permanence ; certains étaient même entourés d’une véritable tempête. Iel dégusta des entremets colorés, où chaque saveur lui était inconnue, mais était malgré tout délicieux et complétait tous les autres. Son préféré avait trois couches de mousses, l’une d’un violet profond, une autre lavande, et une rose pâle. Leurs goûts ressemblaient un peu à certains fruits rouges, mais rien qu’iel ne connaisse. Sur le dessus, de délicates fleurs en sucre ne cessaient d’éclore. Iel apprécia aussi beaucoup un entremet avec deux génoises, la plus basse bleu nuit, celle du haut d’un bleu plus clair. Dans chacune, des petits cristaux blancs brillaient, littéralement, comme des étoiles. Leur saveur ressemblait à celle du sirop d’érable. Le glaçage du gâteau était bleu océan et blanc, et s’animait comme des vagues s’écrasant sur le sable, créant de l’écume. La sensation du mouvement de l’eau restait en bouche.

Lorsqu’iel eut tout goûté, que sa curiosité fut rassasiée, et qu’iel se fut appuyé·e contre le dossier de sa chaise, lorsque l’entièreté de ses camarades eut fini son repas aussi, la fatigue commença à peser sur l’assemblée, particulièrement chez les nouveaux·elles élèves. La directrice se releva alors, et le silence se répandit dans la pièce.

« Maintenant que nous avons bien mangé, il se fait tard. Je laisserai les élèves des classes supérieures se diriger vers leur salle commune et leurs dortoirs. »

Dans une cacophonie sans nom, tintée de raclements de chaises, de bavardages animés et du bruit de multiples pas, iels s’exécutèrent, et quittèrent le réfectoire. Une fois le calme revenu, la directrice reprit :

« Quant à nos arrivant·e·s de la soirée, Madame Rivière va vous guider jusqu’à vos chambres provisoires. Vous y dormirez jusqu’à la fin de la semaine, puis vous intégrerez d’autres chambres lorsque vous aurez choisi votre groupe de travail. Ne vous inquiétez pas, vous aurez l’occasion d’en apprendre plus d’ici quelques jours. Le petit-déjeuner se fait entre sept heures et neuf heures moins le quart, et votre journée de cours commence à neuf heures. Vous vous rassemblerez dans le hall central. Les trajets sont simples, vous ne devriez pas vous perdre. Demain, vous visiterez l’école, recevrez des explications sur son fonctionnement, et vous aurez votre premier cours de Sortilèges théoriques. »

Des chuchotements enthousiastes ponctuèrent sa dernière phrase.

« Je vous souhaite une excellente année scolaire, et j’ai confiance en la réussite de chacun et chacune d’entre vous. Dormez bien, et soyez attentifs et attentives pour votre première journée demain. Bonne nuit à vous. »

Madame Rivière, assise à la même table, se leva alors et s’avança. C’était une dame d’une quarantaine d’années, à la peau noire, dont le visage dégageait un air bienveillant. Elle était de taille moyenne, grosse, les cheveux très sombres, décorés d’une barrette discrète en forme d’orchidée blanche. Elle avait sous le bras un registre. Elle sourit et dit simplement :

« Bonsoir à tous·tes, je suis ravie de vous accueillir. Suivez-moi, s’il vous plaît. »

Ambrose et ses camarades se levèrent donc, et se laissèrent guider. Elle les fit repasser par le hall central, puis prit l’escalier nord. Les chambres étaient situées au dernier étage du grand bâtiment aux fenêtres gothiques, et étaient habituellement utilisées lorsque l’école recevait des invités, ou lors d’échanges scolaires.

Pour certain·e·s élèves qui avaient des difficultés à marcher ou étaient en fauteuils roulants, Madame Rivière fit apparaître une pente légère sur le côté, avec une rampe. Elle leur promit de rapidement leur apprendre à faire de même. En attendant, dès sept heures du matin, lorsque le premier professeur était levé, la rampe était mise en place, et elle s’effaçait autour de vingt-deux heures, l’heure qu’il était actuellement, puisqu’elle n’était plus alimentée car tout le monde était couché. Il en allait de même pour tous les escaliers des bâtiments. Iels arrivèrent alors dans un autre petit hall, et elle leur montra une sorte d’ascenseur sans porte, qu’empruntèrent certain·e·s. Elle fit monter au reste un large escalier en colimaçon au fond de la pièce. Iels gravirent ainsi quatre étages. Iels débouchèrent sur un long couloir, bordé des fenêtres gothiques qu’Ambrose avait aperçues plus tôt. Madame Rivière s’arrêta au milieu, consulta son registre et expliqua d’une voix forte :

« Bon, écoutez bien ! Pour faciliter les choses, nous avons réparti tout le monde par ordre alphabétique dans les chambres ! Si vous voulez faire des changements, libre à vous, mais faites vite, car dans une demi-heure c’est l’extinction des feux ! Aucune incartade ne sera tolérée. Les salles de bain se trouvent tout au fond du couloir. Vous êtes prié·e·s de penser aux autres quand vous prenez votre douche, et de ne pas la bloquer pendant une heure, à moins de vous arranger au préalable entre vous. S’il y a des plaintes, la personne sera sanctionnée. »

Elle commença alors à appeler chaque élève et à lui désigner sa chambre. Ambrose se retrouva dans une chambre de cinq, avec trois filles et un garçon. Les chambres étaient sommaires, avec un lit simple par personne, une table de chevet, un endroit où poser ses vêtements. Iel fut cependant frappé·e par quelque chose qu’iel n’avait jamais vu ailleurs que dans les films : l’intégralité du mur donnant sur l’extérieur était vitrée. Iels pouvaient donc admirer le ciel, et les quelques bouts de prairie et de forêt au dos de l’école éclairés par ses lumières. L’une des trois filles, qui avait les cheveux longs et châtains et qu’iel avait aperçue à son arrivée, assise seule dans l’herbe, découvrit que les vitres semblaient pouvoir s’obscurcir au besoin lorsqu’on allait se coucher. Ambrose ne défit que peu le sac qu’iel avait apporté avec ellui et qui avait été transporté plus tôt dans sa chambre, puisqu’iel savait qu’iel serait transféré·e ailleurs d’ici la fin de la semaine. Iel était d’ailleurs très curieux·se à l’idée d’en apprendre plus sur ces « groupes de travail », ce qu’ils impliquaient, et comment iel allait choisir. Iel avait hâte. Et la directrice avait dit qu’iels allaient avoir leur premier cours de Sortilèges théoriques ! Quoi que ça veuille dire, le nom lui promettait déjà tant !

Iel décida d’aller prendre une douche rapide pour esquiver l’inévitable temps d’attente du lendemain matin. Une des salles de bain était encore libre, à sa grande chance. Au retour, iel croisa dans le couloir le garçon avec qui iel avait discuté plus tôt dans la soirée. Iel lui souhaita timidement bonne nuit, et son voisin lui répondit avec enthousiasme. Il semblait dans son élément ici. Ambrose rentra dans sa chambre, s’allongea sur son lit, et proposa aux autres de mettre son réveil. Au cas où, la jeune fille aux cheveux châtains décida d’activer le sien aussi. Ambrose dit poliment bonne nuit à tout le monde et se coucha. Iel ne s’endormit pas tout de suite, repassant les événements de la journée dans sa tête, pensant à ses parents, et réfléchissant au lendemain. L’excitation tint son cerveau éveillé encore un moment – de la magie ! – puis, finalement, iel sentit l’épuisement recouvrir son corps comme une grosse couverture, et iel finit par s’enfoncer dans un sommeil profond et réparateur.

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