0

Antoine Bombrun

mardi 18 mai 2021

Chroniques du vieux moulin - Tome 4 : Jusqu'à ce que la mort nous sépare

Chapitre quatre-vingt-treizième

Jamais la salle de la Couronne n’avait connu un tel chamboulement. Les hommes – principalement des Sauvages dont la longue chevelure blonde, la tenue de cuir élimée et les gestes vifs tranchaient avec le calme habituel du lieu – s’y tenaient en armes. Ils piétinaient sans la voir la ligne claire qui séparait traditionnellement le pouvoir du peuple. Ils s’y alpaguaient à grand renfort de mots crus.

Seuls quelques Cannirnos avaient osé les suivre : Alphidore, soutenu par Médéric Fonlantrame, ainsi que le chef de guerre LeNoblet qui talonnait Grimm comme un chien de garde. Les deux premiers fixaient le face-à-face avec effarement. Le Meneur des Sauvages s’y dressait, bras levés, bouche ouverte sur une tirade acérée. Autour de lui, loin de se soumettre, ses guerriers tentaient d’argumenter plus fort que lui. Même Snorreï s’était départi de son calme habituel pour asséner aux autres son point de vue avec toute la puissance possible. Parfois, les gestes se mêlaient aux mots lorsqu’un débatteur en empoignait un autre pour prendre la place au centre de l’altercation.

Comme Grimm se faisait repousser une fois encore et qu’il paraissait rassembler tout à la fois ses forces et ses idées pour se rejeter dans la bataille, Alphidore se plaqua un peu plus contre son trône. Derrière lui, discrets, immobiles comme trois statues de pierre, les Sacerdoces conversaient à voix basse :

« Un vrai combat de chiens fous, lâcha Rouge dans un rictus.

— Cela ne diffère guère des délibérations que vous menez entre vous, glissa Gris à la dérobée, lorsque les tiens choisissent de ne pas se ranger à ton autorité… »

Rouge allait riposter, mais Vert le devança en récitant doctement :

« Chez les Sauvages, chaque guerrier a son mot à dire. La décision finale sera entérinée par le Meneur, bien sûr, mais elle aura été réfléchie de manière collégiale. »

Grimm bondit dans le cercle après avoir renversé deux des siens pour prendre leur place.

« Enfin, collégiale… D’ailleurs, cher Alphidore (Vert se pencha en avant pour passer la tête par-dessus le trône.), je pense qu’il serait bon que vous imposiez votre point de vue… »

Gris laissa filer un petit rire sénile, tandis que Rouge se penchait à son tour :

« Mon collègue a raison, MonSeigneur Souverain, profitez de l’ouverture… »

Il pointa du doigt trois des Sauvages qui roulaient au sol dans un furieux échange de coups.

La mâchoire inférieure d’Alphidore descendit plus bas encore :

« Mais… pour leur dire quoi ?

— La fille de Relonor est parvenue à vous obtenir la vie sauve, donc je crois qu’il serait bon d’en profiter pour travailler à maintenir la paix…

— À établir la paix, rectifia Vert.

— Tout à fait », acquiesça Rouge.

Même Gris dodelina de la tête, courbé sur sa canne.

Alphidore observait le débat des Sauvages avec tant d’anxiété qu’il ne se rendit pas compte de l’étonnant accord des trois Sacerdoces. À force de s’user les yeux pour chercher une ouverture autre que celle laissée par les trois bagarreurs qui se relevaient tout juste, il aperçut Orphiléa. Celle-ci ne se tenait pas dans le cercle, mais parvenait à garder une place dans sa bordure sans trop de mal. Alphidore s’avança vers elle. La jeune femme le vit approcher, rougit, puis s’effaça pour le laisser passer.

Le Souverain s’établit donc à portée de voix, prêt à déballer ses arguments – ne restait qu’à en trouver, des arguments.

À son grand étonnement, la ronde s’immobilisa bientôt d’elle-même et les plus acharnés des Sauvages furent matés par Snorreï. En quelques secondes, les guerriers s’avérèrent tout ouïe, pendus aux lèvres d’Alphidore. Ce dernier sentit qu’il n’était plus temps d’hésiter :

« Je… heu… Nous devons réfléchir ensemble pour créer un équilibre afin de vivre en paix en Cannirnosk. »

Les Sauvages demeurèrent un instant bouche bée, la trogne de travers, à fixer le Souverain. Un léger sourire fit frisotter les lèvres de ce dernier. Le sourire, cependant, se trouva vite remplacé par une grimace, puis par une mine atterrée lorsque les Sauvages partirent tous d’un grand rire.

Alphidore se retourna vers les trois Sacerdoces et Médéric Fonlantrame pour les questionner du regard. Si l’aristocrate, aussi éberlué que le Souverain, demeura inerte, les trois autres réagirent à leur manière. Vert se prit la tête dans les mains, Rouge piqua un fard tel qu’il devint indissociable de sa robe, tandis que Gris partit d’un petit rire sénile.

Alphidore, encouragé par tant de soutien, fit de nouveau face aux Sauvages :

« Vraiment, il ne s’agit pas d’une plaisanterie ; installons-nous autour d’une table et causons. »

L’hilarité des guerriers se trouva renforcée encore, Grimm lui-même se frappait sur la cuisse, tandis que le Nordique avec qui il échangeait des propos si virulents l’instant précédent s’appuyait contre lui afin de ne pas rouler au sol.

Quelques paroles perçaient les éclats de rire, mais Alphidore n’en comprit aucune car elles étaient prononcées dans le dialecte des septentrions.

Seul Snorreï conservait une certaine contenance, même s’il dut s’essuyer les yeux à plusieurs reprises avant de parvenir à demander le calme. Il lui fallut quelques cris et autant de bourrades pour que le cercle se reforme. Il expliqua alors :

« Orphiléa a convaincu Grimm de vous laisser la vie sauve, mais aucunement que nous gouvernerions ensemble. Vous vous êtes rendus ; nous avons gagné la guerre. »

À nouveau, Alphidore ne sut que répondre. Il demeura donc les bras ballants, impuissant pendant que le cercle se refermait en l’abandonnant dans la périphérie. Son regard erra à gauche, à droite, jusqu’à rencontrer celui, brillant, de la jeune Orphiléa, sa promise. Elle rougit, puis s’avança avec détermination. Elle allait se heurter au cercle lorsqu’un autre Sauvage entra dans la salle de la Couronne. Son cri immobilisa toute l’assemblée :

« Un messager pour le Seigneur Souverain ! »

Alphidore se tourna immédiatement vers la porte, tandis que Grimm l’imitait moins naturellement.

Derrière le Sauvage, pas plus haut mais bien plus large, la carrure corpulente du Sénéchal Bélésaire Viqueford se détachait visiblement. Ce dernier cachait mal son malaise sous sa barbe épaisse. Ses petits yeux furetèrent dans la salle de la Couronne, ne s’attardant sur personne avant de tomber sur Alphidore de Pal. Il s’avança alors à petits pas pressés, zigzaguant entre les Sauvages et passant même au-delà de Grimm, qui venait à sa rencontre avec un temps de retard, d’un simple :

« Si vous voulez bien… »

Il s’immobilisa finalement devant Alphidore, fit la révérence, puis lui tendit un pli :

« MonSeigneur. »

Alphidore dressait déjà la main quand Grimm s’interposa. Il ne dit pas un mot, mais le geste s’avérait clair : le courrier lui appartenait.

Bélésaire ramena le pli contre lui avant de déclarer :

« Je dois confier ce pli au Seigneur Souverain de la Cannirnosk, et à personne d’autre. Alors arrière, Sauvage. »

Bélésaire ne perçut pas les grands signes que lui adressait Médéric Fonlantrame, si bien qu’il ne trembla pas lorsque Grimm se pencha vers lui pour sourire de toutes ses dents :

« Sais-tu au moins qui je suis, gros homme ?

— Je sais que vous n’êtes pas le Seigneur Souverain, et cela me suffit amplement. En outre, je ne vous permets pas : on ne s’adresse pas ainsi au Sénéchal de la Cannirnosk ! »

Grimm sourit de plus belle. Ses dents étincelaient comme autant de poignards.

« Je suis Grimm, Meneur des Sauvages. »

Bélésaire se ratatina sur lui-même malgré la brièveté de la réplique. Le Sauvage, pourtant pas bien grand, le dominait désormais de toute sa hauteur. Le Sénéchal ouvrit la bouche pour bafouiller des excuses, mais éructa une tout autre comptine :

« Je disais donc vrai : vous n’êtes pas le Seigneur Souverain de la Cannirnosk. Ainsi, je vous prie de bien vouloir me laisser lui remettre ce pli. »

Le sourire de Grimm se figea, et se racornit même aux extrémités. Alphidore en profita pour tenter d’asseoir son autorité :

« Allons, Bélésaire, donnez-moi ce courrier. »

Grimm grogna avant que le Sénéchal n’ait pu bouger d’un pouce :

« Vous vous êtes rendus, Alphidore, et vous n’êtes désormais plus Souverain de rien du tout. Souvenez-vous que vous n’avez la vie sauve que grâce à ma nièce ! Alors battez en retraite ; et vous, Sénéchal, donnez-moi ce pli. »

Bélésaire se trouva tout d’un coup penaud. Son bras perdit de sa force, et tombait peu à peu vers Grimm, qui allait se saisir du document.

Il l’aurait attrapé si la voix de Gris n’avait pas trembloté depuis l’arrière du trône :

« Vous n’êtes pas non plus Souverain, Grimm ! Le conseil, établi sur la plaine des Lannanches par les familles aristocrates, il y a cent ans, a fixé les lois ainsi : "Le membre mâle de la lignée de Pal choisi par le précédent Seigneur Souverain deviendra Souverain à son tour." Vous ne faites pas partie de la famille de Pal, Grimm, et Alphidore ne vous a pas désigné. Vous n’êtes donc pas Seigneur Souverain. »

La tirade du vieux Sacerdoce laissa un blanc dans l’assemblée, et un sourire sur les lèvres de Bélésaire, qui mâcha un instant l’air comme s’il s’était agi d’une tartine de pâté de lapin imaginaire. Sa mastication sembla lui éclaircir les idées, car il déclara finalement :

« C’est fâcheux. Il n’y a donc plus de Seigneur Souverain de la Cannirnosk… Néanmoins, mon courrier demeure d’actualité, si je me permets quelques menues transformations. Silence, donc, et oyez ! »

Bélésaire se racla la gorge avec intensité avant de commencer la lecture :

« Moi, Sénéchal de la Cannirnosk, vous porte un pli de la plus haute importance. Daogan le guerrier ; fils déchu de la lignée Groëe, meneur de la rébellion qui agita le sud du pays. Ayzebel Penderix ; fille de Geraint, choisie comme chef par les nombreuses révoltes paysannes actuelles. Pétronelle Cachampgueux ; maîtresse de Mottevieille, commandante de son unité autoproclamée les Vouges à cochon. Et Bélésaire Viqueford ; moi-même donc, Sénéchal de la Cannirnosk, gardien et coscripteur du grand livre des recettes cannirnoskines. Nous quatre, représentants de trois des lignées aristocrates ainsi que de la gent paysanne de l’ancien peuple, nous convoquons… et là je me permets une modification de mon cru : nous convoquons Alphidore de Pal, ancien Seigneur Souverain de la Cannirnosk ; et Grimm, Meneur des Sauvages. Nous tenons, pour les accueillir dans la plaine des Lannanches, là même où fut tenu le Grand Conseil des lignées fondateur de la politique cannirnoskine, un Conseil qui décidera de l’avenir de notre pays. »

***

Bélésaire Viqueford pensait revenir victorieux, une longue file de nobles et le Seigneur Souverain derrière lui. Il n’en fut pourtant rien…

Son cheval entra solitaire dans la plaine de Lannanches, sous l’œil ahuri de Daogan, Ayzebel et Pétronelle Cachampgueux.

« Heu… se sentit-il obligé de souligner, ils arrivent.

— Foutrecouille, mais pourquoi pas avec toi ?!

— Allons, calme-toi Daogan, intervint Pétronelle. Demandons-lui plutôt ce qu’il s’est passé. »

Elle se tourna vers Bélésaire pour ajouter :

« Alors ?

— Et bien, je crois qu’il faut que je vous raconte ce qu’il se passa à Landargues, en effet, mais avant ma venue… »

La pause que marqua le Sénéchal, bien habitué à faire mariner ceux à qui il portait ses nouvelles, ne fut guère appréciée :

« Continuez, je vous en prie. »

Les dernières semaines paraissaient avoir rendu à Ayzebel sa force, ainsi qu’une conséquente dose d’assurance.

« Il y a peu, la horde de Grimm fondit sur Landargues. Pendant ce temps, notre Seigneur Souverain enferma son oncle, Breridus, dans sa cellule de la Couronne de pierre, puis il fit ouvrir les portes de la cité. Ainsi, les Sauvages y pénétrèrent sans mal, où Alphidore se rendit à Grimm. Notre Seigneur Souverain n’est plus Seigneur Souverain. La Cannirnosk n’est plus telle que nous l’avons connue depuis sa fondation… »

À ce moment de l’explication, un cri d’alerte résonna :

« Les Sauvages ! Aux armes, il faut défendre la plaine ! Ils arrivent du nord-est !

— Par les putains d’ancêtres ! »

Daogan s’était déjà redressé, sa lourde épée en main, et fendait le groupe pour rejoindre les armées qui campaient aux alentours.

« Grimm a pris la capitale ? »

Ayzebel ne pouvait empêcher ses yeux de pétiller d’excitation.

« Il est le nouveau Souverain de la Cannirnosk ? »

Pétronelle Cachampgueux dévisageait Bélésaire avec anxiété. Ce dernier n’eut pas le temps de réagir qu’un second cri d’alarme dégringolait d’une maigre hauteur au sud-est, où avait été établi un poste de surveillance :

« Une armée vient par ici ! Je vois les bannières de… c’est la lignée de Pal ! »

Une volée de jurons fit écho à l’alerte, et Daogan pressa le pas encore davantage.

Bélésaire décrocha enfin son postérieur du banc de fortune dont il avait pris possession en arrivant et partit lourdement à la suite du guerrier :

« Ils ne viennent pas pour combattre ; ils répondent à l’appel ! »

***

Les deux armées furent accueillies, et on les fit camper à proximité tandis que les chefs étaient reçus dans une grande tente.

Le tissu immaculé de cette dernière claquait dans le vent, et chacun ne pouvait que la comparer avec celle des célèbres gravures illustrant le récit que Sindirian le bel avait consacré au Grand Conseil fondateur de la Cannirnosk.

Bélésaire Viqueford, d’ailleurs, y était entré avec un sourire béat, avant de s’installer au fond de la salle, un petit carnet et une plume en main.

À sa suite, les représentants de chacune des lignées qui avaient bien voulu participer au conseil prirent place.

Alphidore, représentant de la famille aristocrate de Pal de Landargues.

Pétronelle, représentante de la famille aristocrate Cachampgueux de Mottevieille.

Médéric, représentant de la famille aristocrate Fonlantrame de Ronceraie.

Jaladelline, représentante de la famille aristocrate Vignonel de Vignevaux.

Orphiléa, représentante de la famille aristocrate Helvival de Castel-de-pluie.

Daogan, ancien membre de la famille aristocrate Groëe de Hautesherbes, et représentant des guerriers des Marches.

Ayzebel Penderix, représentante de la gent paysanne et de l’ancien peuple.

Grimm, Meneur des Sauvages.

Vinrent aussi les trois Sacerdoces, représentants de la principale religion cannirnoskine.

Instinctivement, trois groupes se formèrent. La noblesse, derrière Alphidore de Pal ; l’ancien peuple des paysans et des Sauvages, derrière Grimm ; puis Daogan, seul.


« Bienvenue à tous et à chacun en ce lieu symbolique, débuta Bélésaire Viqueford, en ce lieu qui changea l’Histoire il y a un siècle, et qui la changera de nouveau aujourd’hui. »

Un silence succéda à sa tirade, puis le Sénéchal reprit, d’une voix puissante tirée du fond de sa bedaine :

« Depuis trop de temps des mécontents grondent en Cannirnosk. Le peuple Sauvage depuis les septentrions, l’ancien peuple depuis ses villages. Et même, récemment, la noblesse depuis les abords de Hautesherbes. Des hommes sont morts – et en disant cela je pense à mon amie Pétronelle Cachampgueux – des hommes à qui le pays devait tant sont morts à cause d’une gouvernance trop obtuse, trop asymétrique. Par mes paroles, je ne blâme absolument pas notre Souverain Alphidore de Pal, qui toujours agit de son mieux pour les peuples. Non, je blâme le principe même du Seigneur Souverain. Pourquoi un seigneur noble de cette lignée précisément ? Cela avait un sens il y a cent ans, de nos jours cela ne veut plus rien dire… Trop de peuples, trop de lignées ne se reconnaissent plus dans le Seigneur Souverain… Aujourd’hui, nous devons trouver un nouveau chef pour la Cannirnosk. Un chef choisi et reconnu par tous. »

Une longue pause suivit ce qu’avait déclaré le Sénéchal. Il n’y avait rien de nouveau, et pourtant de fixer les choses ainsi ajoutait à la solennité du moment, et chacun se rendait compte qu’il vivait un moment historique. Un moment qui déciderait du bonheur ou du malheur de son peuple. Un moment où il faudrait défendre les siens envers et contre tous. C’est d’ailleurs ce qui poussa Grimm à grogner :

« Mon chef ne sera pas un aristocrate. Voilà un siècle que nous en endurons un, à présent plus question ! »

Sa tirade fit naître un flot de réponses, agressives pour la plupart. Daogan seul demeurait coi.

Le ton monta. Les mots succédèrent aux mots, les cris au dialogue. Les attaques fusaient sur chaque mensonge, sur chaque contre-vérité, sur chaque traîtrise qui avait pu agiter le pays depuis un siècle. Les maux succédèrent aux mots, et Daogan n’ouvrait toujours pas la bouche.

Grimm s’emporta bientôt avec davantage de hargne :

« De toute manière, ce débat est vain. Voyez, vous êtes sept, nous sommes deux. Vous êtes riches, vous êtes nobles, nous ne sommes que de pauvres insoumis. Voyez, voyez rien que vos vêtures. Vous brillez, vous resplendissez ; chaque famille sa couleur, ses bijoux, son parfum et sa grandeur. Et nous, nous on colle, on pue, mes loques sont dures comme du bois, rapiécées trop de fois depuis trop d’années. Nous ne sommes pas égaux, nous ne le serons jamais, alors comment pourrions-nous choisir un chef ? Ce sera un des vôtres, et nous devrons nous soumettre… »

Un grand silence succéda au coup de colère. Plusieurs aristocrates ouvrirent la bouche pour s’indigner, mais tous la refermèrent : ils ne pouvaient sensément clamer le contraire car, au fond, ils savaient bien que Grimm parlait avec raison.

Après quelques secondes, Médéric s’avança et combla le vide entre les trois camps.

Il dégaina son poignard dans un silence pesant. Immédiatement, Grimm se trouva en garde, main posée sur le manche de sa corsèque. La première attaque du Fonlantrame le détendit, car elle était portée sur lui-même. En effet, Médéric retourna son poignard sur sa tunique et la fendit de haut en bas, si bien qu’elle tomba au sol. Il trancha ensuite sa ceinture et laissa choir ses bas-de-chausses. Ses bottes, enfin, lacérées d’un ultime coup de poignard, furent délaissées sur le tas de fripes. Le noble se retrouva en justaucorps et en collants.

« Bon… Maintenant nous pouvons débattre ? »

Médéric s’était tourné vers Grimm, mais la voix qui lui répondit venait de sa droite. Daogan, enfin, ouvrait la bouche.

Il s’était d’abord avancé, non pas vers le centre de l’assemblée mais vers l’ouverture de la tente. Ses mots, prononcés d’un timbre rauque, furent entendus par tous :

« Nous sommes tombés bien bas… »

Il sortit ensuite, sans autre forme de procès.

Le silence qui s’étira dans la tente dura de nombreuses secondes, avant que le vieux Gris ne chevrote :

« Je crois que nous en avons assez fait pour aujourd’hui. Cessons donc. Retirons-nous chacun de notre côté, apaisons nos aigreurs, pensons, réfléchissons, et demain nous aurons les idées plus claires. Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit… »

Sa main, crispée sur sa canne, tremblota autant que sa voix l’instant précédent, puis il quitta la tente à la suite de Daogan.

Commentaires

Il n'y a aucun commentaire pour le moment. Soyez le premier à donner votre avis !