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Aloyse Taupier

mardi 25 janvier 2022

Lierre

Chapitre 4

Après un délicieux repas à base de mets italiens, Ambrose et Amine décidèrent de passer un peu de temps dehors avant le cours de l’après-midi. Iels sortirent sur le perron, puis regardèrent autour d’elleux pour définir une destination. Les deux ami·e·s préférèrent ne pas s’aventurer dans la forêt tout de suite et ne pas trop s’éloigner ; iels avaient une petite heure et ne voulaient pas risquer d’arriver en retard. Iels commençaient à connaître la prairie sillonnée de canaux, mais il semblait y avoir encore tellement d’endroits à découvrir aux alentours qu’iels se dirigèrent finalement derrière l’école afin d’évaluer les options qui s’offraient à elleux. Iels contournèrent les bâtiments, puis se retrouvèrent face à quelques arbres clairsemés, une vaste pelouse, et divers chemins qui partaient dans des directions variées. Plus loin, on pouvait apercevoir les troncs se resserrer et la forêt devenir plus dense, plus sombre.

Amine désigna le sentier le plus à droite : parsemé de mousse, il se dessinait dans une herbe grasse et verte et paraissait le plus agréable de tous. Iels le suivirent durant une dizaine de minutes, croisèrent çà et là des peupliers majestueux, des bouleaux bercés par l’air tiède, des frênes et des aulnes altiers. Lorsque Amine et Ambrose s’arrêtaient un instant de discuter, seuls le silence et le calme leur répondaient, parfois entrecoupés d’un pépiement d’oiseau. Des odeurs d’humidité, d’eau et de terre meuble commencèrent à leur parvenir ; les plantes et les arbustes se rapprochaient, s’entrelaçaient, et le passage devenait de plus en plus mince.

Iels débouchèrent alors sur un immense lac dont l’onde bleu-vert reflétait la végétation qui l’entourait. Ambrose et Amine écarquillèrent les yeux, soufflé·e·s : l’endroit était magnifique. Iels étaient ravi·e·s de leur choix et Ambrose félicita Amine pour son instinct. Il n’y avait personne aux alentours, la nature était tranquille, l’atmosphère apaisante. Les saules pleureurs laissaient leurs branches onduler dans les eaux, et la brise faisait bruisser les feuilles. Ambrose repéra un petit ponton de bois, un peu plus loin, et le pointa à Amine. Le sentier qu’iels avaient pris semblait faire le tour du lac, et iels le suivirent jusqu’à l’avancée, puis s’assirent, les pieds juste au-dessus de la surface. Iels avaient le sentiment d’avoir trouvé un coin rien qu’à elleux, comme une terre secrète et jamais foulée. Iels se promirent de revenir régulièrement lorsqu’il ferait beau ; iels étaient sûr·e·s qu’il y avait encore beaucoup à explorer par ici. Après tout… iels étaient dans des bois magiques.

Iels passèrent la demi-heure qui leur restait à échanger, toujours, à s’allonger sur le ponton en fermant les yeux, à regarder le ciel et à observer le fond du lac et l’entièreté du lieu.

« À ton avis, ils ressemblent à quoi ces groupes de travail ? questionna soudain Amine.

— Je ne sais pas trop ; j’imagine que ce sera plus intéressant que les petits groupes qu’on avait à l’école avant, hésita Ambrose. Comme tout est magique ici, je m’attends à ce que chaque chose soit forcément mieux, plus passionnante, mais peut-être que ce ne sont que de bêtes groupes de travail ?

— Ça m’étonnerait. Déjà, chaque groupe aura sûrement une salle attribuée, et si elle est similaire aux pièces qu’on a vues jusqu’à maintenant ça va être génial. Imagine : un endroit comme le jardin d’hiver où tu peux passer toutes tes soirées, mais en encore mieux ! J’ai du mal à me représenter à quoi elles pourraient ressembler, mais je suis sûr qu’elles seront trop bien. Tu voudrais quoi toi, dans cette salle ?

— Hmh… Je voudrais un coin calme, où je peux me reposer et travailler. Mais que parfois ce soit animé, que les gens soient gentils et qu’on me propose de faire des activités. J’espère que les élèves seront accueillant·e·s et que ce sera facile de m’intégrer. Si on pouvait voir l’extérieur aussi, ce serait top. Oh, et qu’il y ait des plantes ! Et des endroits confortables pour s’assoir et lire ! Si en plus il y avait une théière, ce serait l’idéal. Et toi, qu’est-ce que tu aimerais ?

— J’espère qu’il y aura de quoi bricoler déjà, avec des tables de travail pour ne pas avoir à aller à la bibliothèque dès que je veux construire quelque chose. J’aimerais qu’il y ait toujours une bonne ambiance, que tout le monde se soutienne. Et qu’il y ait des gens avec qui on peut parler de tout. Et plein de jeux de société magiques. S’il y avait un genre de place centrale pour se rassembler, peut-être avec des bancs, ou une fontaine, ou une statue, ce serait parfait. C’est plus facile quand il y a un endroit défini où se rendre. J’adorerais qu’il y ait plein de sorts mis en place aussi, qui serviraient à plein de choses différentes, mais peut-être qu’une salle de groupe n’en a pas vraiment besoin. En tout cas j’espère qu’il y aura toujours quelque chose à voir et à découvrir, pour que je me sente tout le temps content d’y aller ! »

Iels continuèrent durant quelques minutes à échafauder des hypothèses sur ce qu’étaient ces groupes de travail et à quoi ressemblaient leurs salles, puis bifurquèrent sur la liste des cours qu’iels auraient, iels visualisèrent la cabane qu’iels se construiraient l’année prochaine, réfléchirent au nombre de clubs qu’iels voulaient intégrer, et à comment découper leur temps. Iels adoraient s’investir dans cette nouvelle vie et se projeter dans l’organisation de leur quotidien scolaire. Rien n’avait encore vraiment commencé, mais iels se sentaient déjà à leur place et souhaitaient la rendre douillette, unique, personnelle, bref : qu’elle leur corresponde le plus possible.

Vers deux heures moins le quart iels se relevèrent, s’époussetèrent, s’étirèrent et reprirent le chemin du château. Iels avaient la sensation d’avoir savouré leur pause, d’avoir pu faire une coupure, et de s’être reposé·e·s un peu pour pouvoir attaquer l’après-midi qui promettait d’être riche en informations, elle aussi. Lorsqu’iels quittèrent le sous-bois, Ambrose perçut un mouvement du coin de l’œil, comme si l’un des saules pleureurs sur la rive avait bougé. Iel se retourna pour vérifier, fixa les arbres quelques secondes, mais ne détecta rien de plus. Iels reprirent tranquillement le sentier en sens inverse, arrivèrent derrière l’école où iels croisèrent la jeune fille aux cheveux châtains qui semblait revenir de l’extérieur comme elleux, puis rejoignirent le hall.

Comme prévu, Madame Rivière les retrouva à quatorze heures pile. Elle les guida jusqu’à leur salle de classe, située dans la grande tour. Il y avait aux murs divers tableaux, qui représentaient principalement des paysages aux tons doux, mais de nombreuses publications scientifiques étaient également affichées. Sur le bureau de la professeure, des classeurs sobres bien rangés, remplis de papiers qui avaient l’air ordonnés avec soin. Il n’était pas difficile d’en déduire que Madame Rivière était quelqu’un de très rigoureux, et de plutôt exemplaire. Elle les fit d’abord assoir, puis prit la parole :

« Rebonjour à toustes ; j’espère que le repas fut bon et que vous avez pu récupérer de notre petite visite du matin. Bienvenue dans ma salle de classe, où tous les cours de Sortilèges théoriques se dérouleront. Pour celui d’aujourd’hui, je vous laisse le choix quant à l’ordre dans lequel nous aborderons les choses. Préférez-vous que nous débutions par toutes les questions qui ne concernent pas la matière, notamment l’emploi du temps, et les groupes de travail, ou que nous entrions directement dans le vif du sujet avec une introduction aux Sortilèges théoriques ? Je vous propose de voter à main levée. Qui est pour la première option ? »

Ambrose détestait faire des choix, particulièrement quand ceux-ci l’intéressaient de manière égale. Iel voulait pouvoir commencer à appréhender le déroulement de son année, mais l’introduction à un cours qui comprenait « sortilège » dans le titre lui paraissait très passionnante aussi. Iel décida donc de laisser la majorité trancher à sa place ; finalement, tant qu’iel découvrait les deux, cela lui allait. Amine, lui, ne s’angoissait pas quant à l’organisationnel : il n’avait aucun doute sur le fait que l’école avait tout orchestré au mieux. Par conséquent, il ne demandait qu’à entrer dans le vif du sujet et à pouvoir, enfin, entendre parler de magie en long, en large et en travers. Il réserva donc sa main pour la deuxième proposition. La plupart des élèves choisirent cependant la première, et Ambrose pu repérer que le garçon aux longs cheveux noirs qui semblait anxieux ce matin, et la jeune fille qu’iels avaient croisée tout à l’heure, faisaient partie de celleux-là. Iel remarqua aussi sur le sac à dos d’une camarade avec des lunettes, un petit-arc en ciel dessiné. Des boucles très brunes encadraient son visage mat, et un sweat bleu clair l’habillait.

Une autre personne attira l’attention d’Ambrose grâce à son enthousiasme ; elle avait propulsé sa main dans les airs à l’annonce de la seconde proposition. Elle faisait partie du groupe de la fille châtain, et était assise dans son fauteuil roulant à côté d’une de leurs amies communes. Ses bras étaient musclés, son visage rosi par l’excitation, ses yeux brillants, ses traits fortement dessinés, et ses cheveux blonds coupés très court. Le cours de Sortilèges théoriques semblait vraiment l’intéresser de tout cœur. Ambrose se sentit tout de suite proche de quelqu’un d’aussi passionné qu’ellui et qui paraissait avoir envie de s’impliquer dans ce cursus, et dans ce monde. Iel se demanda si cette personne, comme ellui, découvrait du tout au tout, ou si elle avait déjà été exposée à la magie auparavant.

Madame Rivière apaisa le brouhaha qui s’était créé et reprit la main :

« Bon, c’est donc la première proposition qui l’emporte. Je vais vous expliquer un peu plus en détail comment va se dérouler votre année. Si vous avez des questions ou que quelque chose n’est pas clair, n’hésitez pas. »

Les chuchotis se firent plus discrets, puis le silence complet enveloppa la classe. Les élèves attendaient.

« Tout d’abord, comme je vous l’ai dit ce matin, vous aurez sept matières différentes. Ces matières s’intitulent Sortilèges théoriques, Sortilèges pratiques, Étude de la flore magique, Étude de la faune magique, Histoire du monde magique, Visualisation, et Potions. Elles sont supposées couvrir les bases dont vous aurez besoin pour poursuivre votre cursus, et elles devraient vous permettre à la fois de mieux comprendre tout ce qui concerne la magie, mais aussi de découvrir quels sujets vous intéressent le plus, pour pouvoir décider de vos spécialisations les années suivantes. Chaque cours est assuré par un ou une professeur·e différent·e, ou plusieurs, et chacun et chacune possèdent leurs spécificités. Je ne m’étendrai pas sur leur contenu, puisque ces cours vous seront présentés en temps utile.

« Sachez que votre semaine sera constituée d’environ vingt-six heures de classe. Vous terminez votre journée à dix-sept heures, à l’exception du mercredi et du vendredi où vous finirez à quinze heures pour vous laisser du temps libre. Ces créneaux vous permettront de rejoindre un club, ou plusieurs si vous êtes aventureux. Ils ne commencent que la semaine prochaine et la liste complète vous sera distribuée d’ici le week-end. Notez également que votre emploi du temps changera régulièrement. L’ordre des cours restera toujours le même, mais vous aurez parfois une, parfois deux heures de cours. Cela dépendra qui de la théorie ou de la pratique est mise à l’honneur. Bien sûr, vous serez prévenu·e·s à l’avance, et cela ne devrait de toute façon que peu vous impacter, puisque vous n’avez pas de matériel spécifique à apporter en fonction des matières. »

La camarade au sweat bleu leva alors la main :

« Madame, est-ce qu’on a le choix du support pour prendre des notes ? Genre ordinateur ou papier ?

— Oui, absolument. Tant que vous gardez une trace de vos cours, libre à vous d’utiliser ce que vous voulez. Cahier, feuilles volantes, ordinateur, enregistreur audio même, trouvez ce qui vous correspond. Et n’hésitez pas à requérir de l’aide auprès de vos enseignant·e·s si vous rencontrez des difficultés dans leur matière. »

Une autre élève en profita pour demander :

« Si on a le droit aux ordinateurs, est-ce que ça veut dire qu’il y a Internet dans l’école ? J’ai l’impression qu’on ne capte pas vraiment la 4G pourtant.

— C’est tout à fait normal. Dans le but d’éviter qu’Hedera puisse être localisée, seuls les appels téléphoniques sont autorisés, et un brouilleur empêche toute géolocalisation, et donc, tout moyen de capter Internet sur votre téléphone autrement que par le Wi-Fi. Pour répondre à votre première question : oui, vous pouvez vous connecter au réseau Wi-Fi de l’école, mais uniquement dans la bibliothèque. Nous utilisons un VPN complexe afin que là encore, personne ne puisse remonter à la source de la connexion. De plus, vous comprenez bien que les bâtiments sont beaucoup trop grands pour que cela vaille la peine de faire circuler le Wi-Fi partout. En revanche, personne n’ira surveiller ce que vous consultez sur votre ordinateur là-bas, et vous avez accès à à peu près tout ce que vous voulez.

« Nous pensons qu’il est plus judicieux de vous faire confiance quant au fait de garder le secret sur cette école, puisque c’est aussi dans votre intérêt, que de tout vous interdire, ce qui vous inciterait plus encore à briser les règles. Et de toute manière, pour être transparente avec vous, si vous postiez quoi que ce soit à ce sujet en ligne, la publication serait immédiatement repérée, supprimée, et votre compte fermé. Il ne serait pas difficile de remonter jusqu’au coupable ; je vous conseille donc de réfléchir avant d’agir.

« Nous avons la chance d’avoir dans cette école une chercheuse particulièrement compétente dans les sorts liés à l’informatique. C’est elle qui a mis au point ce petit sort de veille, qui ma foi nous est bien pratique. Mais je tiens tout de même à souligner qu’il n’a que très peu servi, et qu’il semble que faire confiance à nos élèves ait jusqu’à maintenant été la meilleure solution. D’ailleurs, vous vous demandez certainement comment il est possible de mélanger informatique et magie, ce qui me donne une transition parfaite pour basculer sur l’introduction au cours ! Je garderai un temps à la fin de l’après-midi pour revenir sur ce qui concerne l’organisation de l’école. »

Personne ne se demandait vraiment comment mélanger magie et informatique, à part peut-être Amine, qui débordait déjà d’interrogations, mais Madame Rivière semblait partie pour commencer son cours. Cela ne se repérait pas dans son attitude, souvent ferme, mais elle était très attachée à sa matière. Elle avait étudié de longues années pour en arriver là, et elle était l’une des plus diplômé·e·s de toute l’école. Voire de toutes les écoles comme la leur. Elle était aussi l’une des plus puissant·e·s et des plus doué·e·s, même si elle ne s’en vantait jamais. Pour son introduction, elle se présenta à nouveau brièvement :

« Pour que tout soit clair, je vais vous donner quelques informations sur moi, afin que nous puissions mieux nous connaître. Après tout, nous allons passer à minima les deux prochaines années ensemble. Je travaille depuis une vingtaine d’années sur la théorie qui entoure le fait de se servir de la magie, et donc de lancer des sorts. Je suis originaire de la Réunion, à laquelle je suis toujours très attachée, et j’ai voyagé dans divers pays et diverses autres écoles pour étudier. Je suis arrivée à peu près en même temps que notre Directrice, qui m’a recrutée elle-même. C’est généralement moi qui m’occupe des Premières années puisque votre tout premier cours est avec moi, et que les Deuxièmes et Troisièmes années ne commencent cette matière qu’en fin de semaine.

« Je parle plusieurs langues, et je donne des cours de créole réunionnais à celleux qui le souhaitent. J’y incorpore souvent, en plus, des cours sur la culture qui y est liée. S’il y a de la demande, je peux également enseigner d’autres langues. Il y a beaucoup d’élèves dans cette école qui viennent comme moi de la Réunion, et je propose régulièrement d’organiser ensemble, avec les cuisines, des repas autour de mets réunionnais. J’ai confié aux cuisines la plupart des recettes que je connaissais, et je vous invite à faire de même.

« Concernant les Sortilèges théoriques maintenant : c’est un cours difficile, exigeant, et qui demande de la rigueur. Il est malgré tout fondamental pour votre apprentissage, puisque tout ce que vous serez capables de faire reposera sur lui. Il peut parfois être barbant, c’est pourquoi je fais de mon mieux pour le rendre interactif et intéressant. Je suis d’ailleurs preneuse des idées que vous pourriez avoir pour l’améliorer. Quoi qu’il en soit, il vous faudra fournir de nombreux efforts dans cette classe, mais vous comprendrez rapidement que cela en vaut la peine. »

Ce que Madame Rivière ne disait pas, c’est que si elle paraissait quelquefois sèche, et exigeante, elle était au fond profondément bienveillante et attentive à ses élèves. Oh, cela n’apparaîtrait pas sur son visage, et elle gardait toujours une expression sévère, mais elle avait à cœur que tout le monde aime sa matière et puisse y trouver son compte. Ses traits s’adoucissaient parfois lors de ses cours sur la culture réunionnaise, ou pendant les repas, car elle était alors entourée de personnes qui comprenaient son attachement à cette île, ou qui souhaitaient le comprendre, et elle pouvait échanger librement avec elles sans peur de rencontrer des regards perplexes.

Il se racontait également que de très rares privilégié·e·s avaient pu l’apercevoir converser ardemment avec le professeur de Sortilèges pratiques, sur l’application de certains procédés théoriques, sur l’incohérence entre telle pratique et ce qui en était dit dans tel savant article obscur, ou encore sur la mise en place absolument vitale de telle expérience afin qu’elle puisse enfin obtenir des réponses sur ses recherches du moment.

De près, dans sa position de professeure, Madame Rivière était très impressionnante. La classe le sentait, et certain·e·s commençaient déjà à l’admirer un peu. L’enseignante but un verre d’eau et se prépara à introduire plus en détail son cours. Elle se rapprocha du tableau noir. Une craie se mit alors à écrire d’elle-même en lettres cursives « Introduction au cours de Sortilèges théoriques : Principes de base ». Inutile de dire qu’Ambrose et Amine étaient transporté·e·s, comme l’intégralité des élèves. Ambrose ne pouvait s’empêcher de sourire tant iel était ravi·e que la magie fasse partie intégrante de son quotidien. Madame Rivière reprit la parole :

« Bien, avant tout il est important que vous compreniez comment la magie fonctionne, au moins dans les grandes lignes. Vous pouvez vous représenter la magie, ou plutôt votre capacité à la manipuler, comme de l’énergie. Quand on parle de potentiel magique, cela implique simplement que vous avez la capacité de déployer cette énergie et de la mettre en lien avec ce qu’on appelle la magie. Pour prendre un exemple clair, lorsque vous courrez deux-cents mètres, vous consommez de l’énergie. Eh bien l’idée est similaire ici : pour utiliser la magie, manipuler la magie, cela vous demande de l’énergie. Vous utilisez cette énergie pour créer, former, inventer des choses. Plus vous deviendrez habile et moins cela vous coûtera. Comme pour tout, quand on s’améliore, cela suscite moins d’efforts. »

La classe était en ébullition, et des chuchotis parcouraient la salle. Ambrose et Amine n’avaient probablement jamais été aussi concentré·e·s et à l’écoute de toute leur existence.

« Pour progresser en sortilèges, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. D’abord, la pratique, évidemment. Une bonne hygiène de vie est aussi importante, comme pour le sport. Si vous n’avez pas mangé depuis vingt-quatre heures votre énergie en sera forcément très diminuée, ainsi que votre concentration. Et c’est là qu’interviennent les troisième et quatrième paramètres : la connaissance, et la visualisation, qui sont deux facettes d’une même pièce. Lorsque vous manipulez la magie, vous ne créez rien. Lorsque j’écris sur ce tableau, j’ai besoin d’une craie : je ne peux pas générer de la poudre de craie qui viendrait de nulle part. À la limite, si beaucoup de cours ont été donnés dans la salle, je peux utiliser la poussière de craie qui flotte encore dans l’air et la compacter pour essayer de tracer quelque chose, mais ce ne sera pas viable très longtemps. Ainsi, vous obtenez donc la première règle de mise en pratique de la magie, qui équivaudrait à « Nous ne créons rien ex nihilo ». Et c’est parce que nous ne créons rien que nous avons besoin à la fois de connaissances, mais aussi de visualisation. Il est fondamental de comprendre les procédés derrière ce que vous souhaitez accomplir. Et il est tout aussi fondamental de visualiser votre résultat final. Plus vous en savez, plus votre sort se révélera efficace, net, et se maintiendra dans le temps. Idem pour la visualisation. La capacité de concentration est donc également importante. »

Jusque-là, la classe saisissait vaguement ce qu’essayait de lui souligner Madame Rivière, mais c’était encore très abstrait. Devant certains yeux inexpressifs et vides, leur professeure ajouta :

« Je vais vous donner un exemple simple. Mettons que vous vouliez former une boule. Plusieurs options s’offrent à vous concernant l’ingrédient de base : air, eau, feu, ou n’importe quel matériau solide. Prenons l’eau. Si vous vous trouvez à côté d’une rivière, tout ce dont vous aurez besoin sera à votre disposition. Eh bien, mieux vous arrivez à visualiser cette sphère d’eau, à visualiser le résultat que vous désirez, plus votre sort sera concluant, et plus vous pourrez la maintenir dans le temps. Également, plus vous comprendrez les propriétés de l’eau, les molécules qui la composent, la manière dont elles s’agencent, les procédés qui découlent de sa compression, et plus, là aussi, votre sort se rapprochera de votre visualisation, et pourra perdurer. »

Elle sentit la panique saisir ses élèves à l’idée de la complexité que requérait l’exercice de la magie. Ambrose commençait à sombrer dans le désespoir, se rappelant les notes effroyables qu’iel avait toujours eues dans les matières scientifiques. Était-ce déjà la fin pour ellui ? Allait-iel échouer si tôt ? Amine, lui, était plutôt ravi. C’était tout ce qu’il aimait.

« Je vous rassure tout de suite, vous n’êtes pas obligé·e·s de savoir tout cela pour réussir votre sort. »

Le soupir de soulagement unanime qui suivit sa phrase anima presque l’air de manière visible.

« La visualisation peut compenser votre manque de connaissance, et inversement votre compréhension des systèmes pourra pallier vos difficultés de visualisation. Bien sûr, meilleur·e vous serez dans les deux et meilleurs seront vos sorts. C’est pour cela que vous avez un cours de Visualisation, qui vous sera présenté par vos professeurs, un cours de Sortilèges pratiques pour vous entraîner, et un cours de Sortilèges théoriques, où nous survolerons divers domaines. À la fois le fonctionnement de la magie, et son évolution au fil du temps, mais aussi de la biologie pour intégrer tous les procédés impliqués dans ce qui est organique, et de la physique-chimie. Vous appliquerez d’ailleurs cela en cours de Potions, et d’Études de la flore et de la faune magique.

« Ne prenez pas peur si vous avez déjà rencontré des difficultés dans les matières dites scientifiques : nous reprendrons les bases, et vous serez toujours accompagné·e·s. Ce qui compte, c’est d’arriver à trouver la méthode qui vous permettra de mieux comprendre et d’apprendre sans écueils. Ce qui peut être compliqué dans tous ces domaines, c’est la plupart du temps l’aspect théorique. Mais ici vous pourrez rendre concrète chaque chose que nous étudierons, ce qui vous aidera grandement à assimiler leur fonctionnement. Ne vous inquiétez pas, tous·tes les élèves que j’ai pu rencontrer qui avaient auparavant des problèmes avec ces matières s’en sont sorti·e·s. Si vous écoutez en classe et que vous fournissez un minimum d’effort, tout ira bien. Et plus vous vous investirez, plus cela vous deviendra facile, et plus vous aurez le sentiment que votre application paye. Vous aurez rapidement l’occasion de réussir vos premiers sorts, et je ne connais pas meilleure récompense. »

Madame Rivière était arrivée à apaiser la plupart des inquiétudes, et même si certaines persistaient encore, notamment chez les élèves qui avaient beaucoup souffert de leurs cours de mathématiques, de biologie, et de physique-chimie auparavant, iels avaient au moins retrouvé la motivation à faire de leur mieux. La perspective de pouvoir mettre eux-mêmes des sorts en action, de s’investir dans la magie et de commencer à s’y immerger, constituait un excellent levier, comme le savait leur enseignante.

L’idée, également, que faire des efforts apporterait des résultats visibles, et serait récompensé par leur amélioration graduelle, les aidait à se projeter. Ambrose, s’iel ne se sentait pas exactement confiant·e, avait retrouvé sa volonté, et iel comptait bien donner tout ce qu’iel avait. Iel était même décidé·e à réussir brillamment. Iel voulait exceller dans tout ce que lui proposerait cette nouvelle vie. Amine, s’il n’attachait que peu d’importance à ses notes, brûlait de dévorer les cours, d’apprendre à visualiser, et de commencer à travailler le plus vite possible sur ses projets.

Madame Rivière continua durant une heure à leur prodiguer des informations sur sa matière et le fonctionnement de la magie, répondit aux questions et réexpliqua lorsque c’était nécessaire. Elle savait que son cours pouvait être difficile à appréhender, et elle multiplia les exemples pratiques. Elle leur précisa également qu’il n’y avait jamais qu’une seule manière de réaliser un sort. Chacun pouvait trouver sa technique personnelle et s’y prendre différemment.

Elle réutilisa son exemple de la sphère d’eau, et leur exposa que la sphère pouvait avoir différents aspects en fonction de qui élaborait le sort. Elle pouvait être en mouvement, tourbillonner sur elle-même ou rester complètement immobile, elle pouvait être parfaitement ronde ou avoir des contours flottants. La provenance de l’eau pouvait varier aussi. Elle pouvait être extraite de la rivière, mais pourquoi pas de l’air, ou encore d’une plante, même si cela l’assécherait certainement, ou de la terre, de la boue ; les possibilités demeuraient diverses. Elle appuya sur le fait que chacun·e devait faire des essais, parfois échouer, parfois ajuster, pour arriver à trouver ce qui lui conviendrait le mieux.

Durant son exposé, Ambrose entendit des bruissements de tissus et remarqua que la jeune fille au sweat bleu, la personne blonde très enthousiaste, et une grande rousse aux cheveux ondulés se passaient de petits morceaux de papier, probablement des mots. Les réponses qu’elles s’adressaient semblaient les faire sourire. Le garçon aux longs cheveux noirs, lui, prenait énormément de notes et essayait de ne pas perdre une miette du cours. L’enseignante termina finalement son introduction ; il restait trente minutes de cours et elle souhaitait revenir sur les questions organisationnelles. Elle leur annonça que la semaine prochaine, elle leur parlerait de l’évolution de la magie au cours du temps.

Soudain, la jeune fille châtain qu’avaient croisée Ambrose et Amine se leva brusquement, puis sortit de la classe à pas pressés. Elle ne regarda personne, ne dit pas un mot à la professeure ; elle ne semblait pas être en train de pleurer ou de souffrir. D’abord, personne ne la suivit. Nul n’avait encore eu le temps de créer des relations très profondes, même si Ambrose aimait à penser qu’Amine serait parti à sa recherche s’iel s’était retrouvé·e dans des circonstances similaires. Madame Rivière resta quelques secondes interloquée, puis la grande rousse leva la main, et proposa :

« Pardon Madame, je vais la rattraper et voir ce qui ne va pas, si ça vous convient ».

L’enseignante hocha la tête, perplexe, et lui indiqua de revenir l’informer s’il y avait le moindre problème. Puis elle retourna à sa classe. Il restait une petite demi-heure de cours ; comme promis elle avait encore à mentionner quelques aspects organisationnels :

« Nombre d’entre vous semblaient curieux·ses d’en apprendre plus sur les groupes de travail évoqués hier. Vous obtiendrez plus d’éléments durant la semaine, mais pour vous résumer les choses, il y en a seulement trois dans cette école. Ce que nous appelons groupes de travail, c’est un moyen de rassembler les élèves de toutes années en fonction de leurs affinités, et de créer de la cohésion, mais aussi un espace où vous puissiez vous sentir à l’aise, et en quelque sorte chez vous. Un peu comme une maison. Ils sont au nombre de trois, possèdent chacun leurs dortoirs, leur salle commune, et leurs spécificités. Ils sont basés sur un ensemble de facteurs, comme la manière dont vous étudiez, l’environnement dont vous avez besoin pour cela et que vous appréciez le plus, la vision que vous avez de la magie, ce que vous souhaitez tirer de cette école, ainsi que vos goûts, le type de relations que vous aimez entretenir, et beaucoup d’autres choses.

« C’est vous qui choisirez celui dans lequel vous vous sentirez le plus à l’aise. Personne ne vous connaît mieux que vous-même, et ne sait plus précisément ce qui est bon pour vous. Notez également que vous avez le droit de vous tromper, ou de changer d’avis. Bien sûr, nous n’autorisons pas le basculement d’un groupe à l’autre quinze fois dans l’année, ce serait trop compliqué d’un point de vue logistique et administratif, mais si vous souhaitez permuter, vous pouvez en informer un·e professeur·e, ou la Directrice.

« Durant la semaine, vous visiterez les salles communes de chacun, afin d’avoir une première impression de l’ambiance des lieux, mais aussi d’échanger avec des élèves qui font partie de ces groupes depuis longtemps et qui pourront vous renseigner et vous conseiller au mieux. Vous n’avez rien à perdre, ou à gagner, en choisissant un groupe plutôt qu’un autre, si ce n’est un espace où vous sentir bien. Tous sont d’égale valeur, et tous ont leurs qualités, comme leurs éléments à travailler. De plus, n’oubliez pas que peu importe celui-ci, cela ne vous empêche aucunement de nouer des liens avec les autres élèves, puisque nombre d’endroits dans l’école, comme ceux que nous avons visités ce matin, permettent de vous rassembler.

« La salle commune propre à chaque collectivité est plutôt à considérer comme un lieu privilégié, plus ajusté aux personnes qui l’ont choisi, afin qu’elles puissent se ressourcer lorsqu’elles en ont besoin, rester au calme, ne pas être dérangées, et recevoir le soutien d’autres qui comprendront plus instinctivement les difficultés qu’elles rencontrent. Mais rien ne vous oblige à y passer votre temps. Ces groupes ont été mis en place seulement dans le but de faciliter la création de relations, pour que chaque élève puisse trouver des ami·e·s qui étudient comme ellui, qui construisent un environnement de travail propice, et qui puissent lui donner des conseils plus adaptés. »

Le brouhaha recommença à prendre de l’ampleur, chacun·e discutant avec son voisin de ce que cela impliquait, et Madame Rivière dû réclamer le calme. La jeune fille en sweat bleu leva la main :

« Madame, vous avez dit qu’il y avait trois groupes, ça a un rapport avec les éléments de couleurs que j’ai vu portés par des élèves ?

— Tout à fait, tu es perceptive. Chaque communauté possède en quelque sorte une teinte qui la représente, et certain·e·s membres aiment porter quelque chose, accessoire ou vêtement, qui la rappelle, un peu comme s’iels faisaient partie d’une famille. Rien ne vous y oblige et tout le monde ne le fait pas. Nous avons même pensé l’interdire à un moment, pour éviter que les groupes se referment trop sur eux-mêmes et se mettent en compétition avec les autres. Mais comme il n’y a rien à gagner ni à perdre, et que les résultats scolaires ne sont pas publics, il semble que cela renforce la cohésion sans pour autant gêner les relations intergroupes. Si cela vous fait plaisir, vous pouvez donc porter quelque chose qui rappelle la communauté dans laquelle vous choisirez d’être. »

Sans qu’iel comprenne bien pourquoi, cela toucha Ambrose que quelqu’un d’autre ait perçu, comme ellui, que les élèves semblaient revêtir de petits fragments de couleur. Iel visualisait mieux la logique derrière tout ça, maintenant. Iel eut également envie de discuter avec la jeune fille en bleu, à l’occasion. Elle avait l’air de remarquer les choses ; peut-être qu’iels pourraient démêler ce qu’iels avaient repéré ensemble. Amine pouvait être observateur, mais cela concernait plutôt l’attitude, les sentiments et les émotions des gens. Il était trop concentré sur ses centres d’intérêt pour porter une extrême attention à son environnement, au contraire d’Ambrose qui dévorait des yeux tout ce qu’iel pouvait.

« Vous le comprendrez vite durant la semaine, les couleurs en question sont le bleu nuit, le vert clair des jeunes pousses, et l’orange vif du feu. Vous me ferez le plaisir de ne pas choisir votre groupe sur la base de sa teinte, mais bien de mener une réflexion longue et approfondie sur celui qui vous conviendra le mieux dans tous les aspects de la vie et du quotidien, dont vos études. »

Un élève leva à son tour la main :

« Madame ! Est-ce que ces groupes ont des noms ? Je voulais commencer à poser des questions sur eux au réfectoire !

— Eh bien… Oui bien sûr. Je suppose que cela ne fait pas de mal de vous en parler maintenant, même si vous reverrez tout ça dans la semaine. Le bleu nuit se nomme Astramentis, et est symbolisé par un fond de la même teinte, orné d’un croissant de lune, d’une petite et d’une grande étoile. Le vert nature se nomme Vertemps, et il se distingue par un fond de la couleur de la terre meuble, ainsi qu’une pousse avec une feuille. Enfin, le groupe orange brasier porte le nom de Parmardor, et son emblème représente un feu de camp et un bouclier côte à côte. Vous comprendrez les significations de ces blasons le temps venu, et je ne m’étendrai pas plus sur le sujet aujourd’hui puisque nous arrivons à la fin de ce cours. »

La classe était à la fois soulagée, car certain·e·s commençaient à fatiguer et à avoir des difficultés à tout intégrer, et déçue de s’arrêter là. Amine et Ambrose, notamment, aurait pu continuer à entendre parler de la magie et de l’école pendant des heures. C’était comme dans les histoires de Fantasy, les groupes avaient même des blasons ! Iels voulaient maintenant savoir comment les couleurs avaient été choisies, et les symboles, et quels éléments constituaient ces groupes, et leurs qualités, et à quoi ressemblaient les salles communes, et… Mais Madame Rivière tapa dans ses mains pour faire revenir le calme, puis conclut son cours :

« Bien, nous allons nous arrêter là. Avant que vous ne quittiez la salle, je vous informe qu’il y aura samedi une élection pour désigner vos délégué·e·s. En effet, il est important que vous ayez quelqu’un à qui parler, ou à qui rapporter certaines choses en cas de problèmes ou de besoin. Aller directement interagir avec un·e professeur·e peut être angoissant, c’est pourquoi vos délégué·e·s pourront s’en charger pour vous. Vous avez toute la semaine pour faire connaissance, pour choisir de vous présenter ou non, et pour avoir une idée de qui vous voulez voir élu·e. Prenez le temps de réfléchir. Maintenant, vous avez quartier libre jusqu’au repas de dix-neuf heures. Reposez-vous bien, et bonne fin d’après-midi à vous. Merci pour votre attention. »

Elle alla ensuite s’assoir à son bureau, puis commença à ranger ses affaires. La classe se leva bruyamment et quitta la salle. Certain·e·s élèves allèrent voir la professeure pour lui poser encore quelques questions, auxquelles elle prit le temps de répondre. La pièce finit par se vider complètement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Madame Rivière. « Eh bien, se dit-elle, ces premières années semblent très enthousiastes, ça promet d’être animé. »

Commentaires

J'ai beaucoup aimé toute la théorisation autour du fonctionnement de la magie :)
Et... les descriptions des maisons bien sûr !
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dimanche 23 janvier à 14h31
Oh, merci beaucoup !
J'ai hâte hâte hâte de vous faire découvrir les salles communes de chaque maison !
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mardi 25 janvier à 22h13