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Aloyse Taupier

lundi 25 juillet 2022

Lierre

Chapitre 10

Après s’être consulté·e·s, Ambrose, Amine, Céleste et leur groupe décidèrent, en attendant l’heure du dîner, d’examiner plus en détail la liste des clubs fournie par Madame Rivière. Iels se mirent à la recherche d’un endroit calme pour cela : l’index avait l’air bien rempli et iels souhaitaient prendre leur temps pour l’étudier. Le jardin d’hiver leur parut une excellente option ; à cette heure de la journée, le soleil descendant éclairait de sa lumière la pièce et embrasait de mille feux la cascade. Lorsqu’iels entrèrent, iels purent effectivement admirer les reflets arc-en-ciel qui constellaient le sol comme des diamants. La salle s’avéra presque vide ; la plupart des élèves passaient d’abord un peu de temps dans leur salle commune après les cours, avant de choisir où profiter de leur soirée. Seules quatre personnes étaient présentes, l’une lisant un livre, les autres discutant près de la cascade.

Le groupe put donc s’approprier plusieurs petites tables en rotin et quelques fauteuils de jardin moelleux. Une fois confortablement installé·e·s, toustes prirent le temps d’étudier en détail la liste.

« CLUBS :

— Magie culinaire

— Art floral magique

— Tennis

— Écriture

— Sculpture magique et non magique

— Volley-ball

— Photographie

— Peinture magique

— Échecs

— Baseball

— Randonnée

— Étude et création du manga

— Jeux vidéo

— Jardinage

— Variante magique du volley-ball

— Théâtre magique

— Radio et journal de l’école

— Musique magique et non magique

— Danse

— Mécanique

— Décoration d’intérieur

— Club des évènements

— Soins aux créatures magiques

— Chorale

— Salon de thé

— Lévitation et déplacement magique

— Astronomie  »

Amine, Céleste, Raphaëlle et Ambrose relevèrent la tête les premiers ; iels attendirent que leurs camarades terminent leur lecture avant d’entamer la conversation. Vlad laissa alors échapper la première interjection :

« Woaaah ! Eh mais y a tellement de clubs ! Attendez, on va pas pouvoir tout faire là, va falloir choisir ? Oh non, j’ai tellement pas envie… En plus tout a l’air bien même si je comprends pas la moitié des titres ! Baseball ? Volley-ball ? C’est quoi ça ? Oh, le jardinage ! Medhi en parlait !

— Lévitation et déplacement magique ? s’interrogea Amine.

— Magie culinaire… murmura Ambrose.

— Regarde Raphaëlle, il y a de l’art floral ! s’exclama Alby. Tu m’avais pas expliqué que tu en faisais en autodidacte ? Moi ça m’intéresserait bien ! On pourrait y participer ensemble ! Si ça te dit ? Enfin je veux pas t’obliger ! C’est juste si tu as envie moi aussi ça me plairait d’essayer !

— Soins aux créatures magiques ! s’écria Céleste en donnant un coup de coude à Robin. »

Iels continuèrent à parler avec animation, pointant tel ou tel nom, tel ou tel détail, se questionnant sur tout. Certains titres se révélaient plus obscurs que d’autres : que pouvait-on bien travailler en peinture, sculpture, musique magique ? Comment se jouait la variation du volley-ball ? Alby expliqua d’abord rapidement à Vlad les règles du baseball, du tennis et du volley-ball ; celui-ci n’avait jamais eu l’occasion de voir un match. Cela ne se pratiquait pas dans son village et il ne regardait pas la télévision, ou seulement les chaînes gérées par des sorciers et sorcières. Il était donc très intéressé, par la version magique comme non magique. Alby lui promit de lui montrer plus en profondeur à quoi ressemblaient ces jeux sur un terrain s’iels en avaient l’opportunité.

Toustes oscillaient entre de nombreux clubs. Vlad, qui ressentait toujours le besoin de s’organiser et de ne pas se laisser dépasser, leur proposa de chacun·e sélectionner au maximum dix activités sur lesquelles se renseigner, pour au final n’en choisir que deux ou trois. Lui-même dut se faire violence pour n’en entourer que dix sur sa feuille. La plupart des interrogations qui leur restaient seraient à poser à Madame Rivière ou aux responsables des clubs lors des rencontres ; iels décidèrent donc de se détendre et de vaquer à leurs occupations ensuite. Amine en profita pour observer la pièce de plus près, analyser les flux d’airs, de lumière, et essayer de comprendre le fonctionnement des filtres qu’il avait repérés durant la visite de l’école.

Vlad étala ses affaires sur une table ; il souhaitait commencer à organiser son emploi du temps, ses révisions, ses activités. Alby, Raphaëlle, Robin et Céleste continuèrent à discuter ensemble de sujets divers et variés comme le pique-nique du midi, le cours de Potions qui les intriguait, ou encore les sorts qu’iels imaginaient apprendre. Ambrose, quant à ellui, s’installa sur un fauteuil près des baies vitrées. Iel contempla quelques minutes la prairie éclairée par le soleil, les ombres des nuages qui défilaient paresseusement au sol. Iel s’abîma dans les reflets du petit bassin. Un rayon de lumière tombait sur son poignet et le réchauffait. Le bouillonnement de l’eau lui parvenait, atténué. Lorsqu’iel sentit ses yeux commencer à se fermer, iel se ressaisit et sortit le livre que Bibliothécaire lui avait prêté. Ses doigts effleurèrent à nouveau la couverture épaisse, dessinèrent le contour des étoiles qui y étaient piquetées. Soudain, iel se rendit compte avec étonnement qu’un détail, un important détail, lui avait échappé jusque-là : le titre n’apparaissait nulle part. Ou plutôt, il n’y avait pas de titre. À ses yeux, cela n’en rendait l’ouvrage que plus mystérieux et iel s’empressa de se plonger dans sa lecture.

Les pages, jaunies par le temps, paraissaient presque parcheminées. Ambrose prenait soin de les tourner avec délicatesse. Iel tomba d’abord sur quelques paragraphes qui reprenaient l’introduction de Madame Rivière concernant le fonctionnement de la magie. Ils étaient cependant rédigés comme des réflexions personnelles, des recherches, des découvertes en lien avec l’expérience de son auteurice. Auteurice dont, d’ailleurs, le nom n’apparaissait là aussi nulle part. Ambrose imagina qu’iel avait en sa possession un témoignage de première main, peut-être même les prémices du savoir sur la magie, dont Madame Rivière s’était servie pour alimenter son propre travail et en présenter à ses élèves une version résumée.

Le chapitre semblait se prolonger, approfondissant ce qu’Ambrose avait intégré en cours, ajoutant des exemples, des cas concrets qui lui permettaient de se représenter comment articuler les différentes étapes pour lancer un sort. Iel avait le sentiment de mieux visualiser l’entièreté du processus. Comme cela faisait déjà beaucoup à retenir, iel feuilleta ensuite au hasard le reste du livre pour y revenir plus tard, regarda les schémas, les dessins. Iel tomba notamment sur des plantes magiques détaillées, qu’iel se promit de montrer à Alby et Vlad. Iel reconnut aussi le croquis d’une racine de gingembre, qui, semblait-il, pouvait être utilisée dans le cadre de potions. Iel continua son exploration, gorgeant son esprit de visions merveilleuses et colorées, d’objets, de végétaux, d’animaux, de lieux même. À sa surprise, iel crut avoir déjà vu quelque part l’un des édifices représentés, comme s’il lui était familier. Iel fouilla sa mémoire, chercha où iel avait pu apercevoir un grand bâtiment arrondi avec une coupole, en vain. Perplexe, iel nota dans un coin de sa tête d’y repenser plus tard. Cette question sans réponse l’avait sorti·e de sa lecture : iel décida de rejoindre Alby et les trois autres.

Amine, qui venait de terminer ses explorations, se rapprocha également d’elleux. Iels arrivaient au milieu d’une discussion sur la peinture. Céleste la pratiquait à ses heures perdues, Robin, Raphaëlle et Alby aimaient les arts graphiques et avaient chacun·e développé leurs préférences. Ambrose et Amine attendirent patiemment que la conversation s’essouffle, ne s’y connaissant que peu en tableaux, et bientôt le sujet bifurqua complètement.

« Eh dites qu’est-ce qu’on pourrait faire ce soir après manger : ce serait bien qu’on fasse quelque chose ensemble non ? lança Alby.

— Ce serait sympa, oui… confirma timidement Raphaëlle. »

Il y eut un instant de silence réfléchi, qu’Amine ponctua d’une interrogation à voix basse, presque pour lui-même :

« Hhmh, qu’est-ce qu’on a comme activité sous la main… ?

— Eh Vlad ! Ramène-toi, on discute du programme de ce soir ! interpella Robin. »

Vlad ferma ses livres et ses cahiers, les rangea proprement, puis s’ajouta à la conversation.

« On pourrait aller se balader ? proposa-t-il. Le temps deviendra beaucoup plus moche à l’automne, autant en profiter maintenant.

— Alby, est-ce que ça ira pour toi ? demanda Ambrose.

— Oh ça devrait aller si on reste sur les chemins. Si on va dans l’herbe il faudra pas aller trop loin et j’aurais peut-être besoin d’un coup de main. Mais ça devrait passer ! Ҫa me va ! Je suis jamais sorti de nuit : j’ai hâte !

— Tout le monde valide ? questionna Robin. »

Toustes hochèrent la tête ; le programme du soir était acté.

« On devrait emmener des couvertures pour s’assoir par terre ou si on a froid, proposa discrètement Raphaëlle. Mais à qui on peut demander ça ?

— Je vais voir avec Madame Rivière ou n’importe quel prof qu’on croisera d’ici le repas, on doit pouvoir trouver ça quelque part, déclara Robin. »

Elle avait tendance à prendre les choses en main spontanément, ce qui soulageait les personnes telles qu’Ambrose ou Raphaëlle qui détestaient ce genre de problèmes. Depuis le début de l’année, elle n’avait pas hésité à s’adresser aux enseignants et à s’impliquer dans la vie scolaire. Elle devenait chaque jour un peu plus la camarade sur qui le groupe pouvait se reposer au besoin. Dans la classe, elle commençait d’ailleurs à susciter l’admiration de certain·e·s. Même Céleste, toujours sur la défensive, savait qu’elle était partie à sa recherche lorsqu’elle avait quitté le cours de Madame Rivière, et en avait été vaguement touchée.

Quelques élèves d’autres classes entrèrent dans la pièce et s’installèrent pour discuter ou étudier. Monsieur Abellanet, le professeur d’Étude de la flore magique, traversa également la salle à pas pressés ; toustes le virent disparaître derrière les rangées de plantes. Ne leur parvinrent ensuite que de discrets bruissements de brumisateur et les raclements d’une pelle en métal contre la terre cuite.

Les discussions reprirent entre Ambrose et ses camarades, parfois toustes ensemble, parfois à deux ou trois. Iel en profita pour montrer quelques pages de son livre à Amine, puis lui résuma aussi ce qu’iel avait pu comprendre de sa lecture. Celui-ci se révéla très intéressé par la partie approfondissant la magie, qui contenait des conseils pratiques, et finit même par demander à Ambrose de lui prêter l’ouvrage lorsqu’iel l’aurait terminé.

Le groupe savoura son temps libre jusqu’à l’heure du repas. Iels se déplacèrent alors au réfectoire et s’installèrent ensemble. Iels y croisèrent Medhi et d’autres élèves de Vertemps, qu’iels saluèrent en passant. Le dîner du jour laissait la part belle aux mets rwandais. Iels n’avaient jamais eu l’occasion de goûter à cette cuisine, mais s’empressèrent de réparer cela et de retenir les noms de leurs plats préférés.

Amine affectionna l’umutsima, une pâte de manioc et de maïs ici cuite comme un gâteau. Il appréciait sa consistance de porridge. Sa couleur blanche, presque nacrée, ressortait parmi les autres plats et lui avait attiré l’œil. Amine le mangea tel quel, laissa les saveurs brutes se répandre dans sa bouche. La pâte était encore chaude. D’autres de ses camarades décidèrent d’y apporter une touche de sucré, parfois du sirop d’agave, du coulis de mangue ou même de framboise.

Il y avait également sur la table de l’isombe : des feuilles de manioc mélangées à des aubergines, des poivrons et des oignons. Son fumet, à la fois doux et sucré, avec un soupçon de noisette mais aussi une pointe d’acidité, stimulait l’appétit. Céleste y ajouta des croutons à l’ail dorés dans son assiette : il était rare qu’elle n’accole pas un peu de pain à n’importe quel plat de légumes. Le contraste entre le fondant des oignons, des aubergines, et le croquant du pain grillé ravit son palais. Dans une certaine mesure, ce mets lui rappelait un peu la ratatouille que lui cuisinait parfois son grand-père, en plus épicé et savoureux.

Au fil des discussions, des membres de Vertemps aux origines rwandaises, heureuxses de pouvoir partager avec leurs camarades ces plats chers à leurs yeux, surprirent les autres élèves en leur expliquant que le manioc et le tapioca, un aliment plus familier, provenaient en fait de la même plante : le tapioca étant issu de l’amidon du manioc. Iels mentionnèrent d’ailleurs avoir fait pousser quelques plants dans leur salle commune, et pouvoir montrer à qui voulait les différentes façons de préparer ce légume. Des volontaires se manifestèrent, dont Amine Ambrose et Raphaëlle ; il fut donc décidé de rediscuter des détails organisationnels plus tard.

Disposés un peu partout entre les élèves dans de grandes corbeilles, une multitude de fruits colorés reflétaient la lumière. Des matoke, d’un vert profond, des papayes à partager, dont la chair orange garnissait déjà certaines assiettes, des tomatillos rouges, violets, jaunes, verts, encore dans leur chrysalide végétale, ou des mangues dont la couleur garance signifiait la maturation parfaite et appelait à y plonger sa cuillère. Alby attrapa un tomatillo vert, qu’iel croqua après avoir enlevé les feuilles, et fit la grimace. Iel ne s’était pas attendu à l’acidité qui envahit sa langue, mais mêlée à la rondeur que contenait également le jus, le goût était vif, rafraîchissant, un peu comme un citron. Iel adorait ça. Iel s’empressa de tendre la main pour en saisir d’autres.

Vlad, quant à lui, se jeta sur les ibirayi, des frites faites maisons aux épices. Il n’avait jamais goûté une telle combinaison de condiments ; ils crépitaient dans sa bouche, mélangeaient le salé, le sucré, le grillé et le boisé, l’intense et le subtil. Il essayait de les identifier tous pour pouvoir reproduire cet assaisonnement un jour. Il sentait du piment, du thym, du paprika, quelque chose de similaire à la sauge, et d’autres herbes qu’il n’arrivait pas à reconnaître.

De l’ibihaza fumant était aussi à disposition, un genre de ragoût de citrouille, d’oignon et de haricots rouges, qui constituait le plat principal. Ambrose, toujours plus intéressé·e par le sucré, choisit le mizuzu comme mets préféré de son repas. Il se composait de tranches de plantain frites, glacé au sirop d’érable et servies avec de la glace, au chocolat ou à la vanille. Après la fin d’après-midi ensoleillée qu’iel avait passée, sa lecture approfondie, les discussions avec ses camarades, c’était exactement ce qu’il lui fallait. Iel laissa la glace fondre sur sa langue, le sirop d’érable envahir ses papilles. Le plantain, encore tiède, se dissolvait dans sa bouche, et ses extrémités avaient caramélisé, apportant du croustillant. Un léger goût de banane soulignait le tout. Ambrose était aux anges.

Le dîner terminé, Robin se rapprocha de la table des professeur·e·s afin de leur demander s’il était possible d’obtenir des couvertures pour leur soirée dehors. Madame Rivière lui indiqua qu’iels n’en possédaient pas qui seraient adaptées à l’extérieur, mais que Robin pouvait questionner les cuisines, car iels stockaient là-bas de vieilles nappes en vrac qui pourraient tout à fait convenir.

« Vous devriez monter dans vos chambres vous habiller plus que ça, énonça la grande rousse après avoir rejoint le groupe. On aura de quoi s’assoir, mais pas de quoi se réchauffer. »

Amine se porta volontaire pour l’accompagner aux cuisines. Les autres eurent le temps d’aller se changer, puis de redescendre les attendre dans le hall. Le duo revint les bras chargés de trois grosses nappes dépareillées.

« Tu vas adorer les cuisines quand tu iras y faire un tour, glissa Amine à Ambrose. Si tu ne veux pas y aller seul·e, je viendrai avec toi. »

Il n’en dit pas plus et laissa la curiosité d’Ambrose bouillonner. Tout le monde était prêt pour le départ : iels franchirent donc les grandes portes du hall. Toustes sauf Alby, qui avait arrêté son fauteuil à quelques mètres de l’entrée, en plein milieu du couloir. La tête tournée vers la droite, iel avait cru apercevoir du mouvement. Il lui semblait avoir vu disparaître au fond d’un corridor… un bout d’aile ? Comme si un oiseau avait soudainement bifurqué à l’intersection. Un très gros oiseau.

« Eh, ça va ? »

Amine l’attendait, lui tenant la porte pour faciliter son passage.

« Oui ça va… j’ai cru voir… Rien. »

Alby n’aurait su expliquer la trop brève manifestation qu’iel avait observée. Iel ne savait pas non plus ce qu’en penseraient ses récent·e·s ami·e·s, ni même s’iels le croiraient. Si spontanément la réponse lui paraissait positive, iel ne pouvait s’empêcher malgré tout de rester parfois méfiant. Iel préférait ne pas prendre le risque d’entacher la joyeuse soirée qui s’annonçait.

Amine haussa un sourcil, mais s’abstint de tout commentaire. Alby le rejoignit et ensemble, iels rattrapèrent leurs camarades.

L’air frais du soir joua dans leurs cheveux lorsqu’iels descendirent toustes les marches extérieures. L’atmosphère était encore tiède, quelques nuages naviguaient dans le ciel étoilé et couvraient parfois la lune. Iels avancèrent en ligne droite, suivant le chemin qui partait de l’entrée, jusqu’à s’éloigner suffisamment de l’école pour être tranquilles. Au bout de deux ou trois cents mètres, iels choisirent de s’installer près de l’un des canaux qui sillonnaient la prairie, non loin de la route principale. Alby put les escorter sans trop de difficulté et se débrouiller seul. Amine et Ambrose l’accompagnaient ; iels avaient calé leur pas sur son rythme pour discuter avec ellui. Robin et Vlad étendirent les nappes au sol, et toustes s’assirent au bord de l’eau. Céleste enleva ses chaussures, plongea ses pieds dans le courant paisible, puis poussa un soupir de contentement. L’onde tiède courait contre sa peau, légèrement plus froide que la température extérieure, et la jeune fille sentait son corps se revigorer.

Iels reprirent les conversations là où iels les avaient laissées. La plupart des sujets scolaires étaient épuisés ; iels se posaient donc tout un tas de questions les uns aux autres, apprenaient à se connaître, se rapprochaient. Céleste et Vlad débattaient jeux vidéo :

« T’aimes Animal crossing et t’as jamais joué à Stardew Valley ? T’es sérieux là ? Va falloir réparer ça rapidement, certifia la jeune fille. »

Toujours près de l’eau, elle lui tournait quasiment le dos, mais sa tête et son regard pivotaient vers lui quand elle lui parlait. Vlad, installé sur une des nappes, arrachait des brins d’herbe d’une main tout en discutant avec elle.

« Oui bah t’as refait cinquante fois Eternal Darkness, et pourtant t’as jamais testé Sanitarium, donc fait pas trop la maline quand même ! rétorqua-t-il en souriant.

— Je fais Sanitarium si on commence une partie en multi de Stardew.

— Deal si tu me prêtes aussi ta Gamecube de temps en temps.

— Deal. »

Les cinq autres évoquaient les endroits qu’iels avaient pu découvrir, les balades qu’iels avaient faites, ici ou avec leurs parents. Alors que le sujet dérivait sur leur vie avant Hedera, Ambrose chuchota à Amine :

« Tu crois qu’on devrait leur parler du lac, et des arbres qui bougent ?

— Pourquoi pas, on pourrait aller vérifier toustes ensemble. Tu es d’accord avec ça ? On peut aussi garder ça pour nous si tu as envie, répondit-il placidement.

— Non non, ça pourrait être chouette. Tu leur expliques ? »

Amine acquiesça, puis attendit qu’une pause se forme dans les discussions.

« On a remarqué un truc avec Ambrose. »

Il leur expliqua alors ce qu’Ambrose avait aperçu, et l’idée qui leur était venue après le cours de Monsieur Chêne.

« Mais c’est génial ! lança immédiatement Vlad. D’autres arbres qui bougent, peut-être qui parlent ? On pourrait y aller tout de suite !

— Ohla, doucement, le tempéra Robin. Il fait nuit, c’est pas exactement la porte à côté, et le chemin a pas l’air du tout praticable pour Alby. Faut d’abord qu’on apprenne à faire ces machins translucides qui servent de route. S’ils vivent là, ils vont pas s’en aller de toute manière, on a le temps.

— Ah… c’est vrai. Je me suis emballé. Mais on n’oublie pas hein ! Il faut qu’on y aille !

— Comment veux-tu qu’on oublie, le rassura Amine, nous aussi on a envie d’en savoir plus. Il suffit qu’on apprenne rapidement ce sort pour les routes, ça n’a pas l’air si compliqué. Et puis ça nous donnera une motivation supplémentaire.

— Madame Rivière a promis qu’elle nous l’enseignerait vite, on ne devrait pas trop avoir à attendre, rappela Raphaëlle. Ce sera peut-être notre tout premier sort du coup ? »

À la nouvelle mention des sorts, la conversation se dirigea à nouveau vers la magie et la multitude de choses qu’iels aimeraient maîtriser. Il leur restait encore la moitié des cours à découvrir, notamment les Sortilèges pratiques ou l’Étude de la faune magique, et chaque jour apportait son lot de curiosités, d’effets magiques, d’inattendu. Bientôt, Vlad demanda à tout le groupe ce qu’iels rêvaient d’apprendre comme sort avant d’arriver à Hedera, ou le pouvoir magique qu’iels auraient souhaité posséder.

« Moi j’aurais voulu une mémoire illimitée, indiqua-t-il, et pouvoir retenir instantanément quand je lis quelque chose. Et lire super vite aussi !

— Je voulais parler avec les animaux et avoir de l’attention à l’infini, répondit Céleste.

— De l’attention comme la concentration à l’école, ou qu’on te donne de l’attention ? questionna Robin.

— De la concentration, t’es bête ou quoi ? rit Céleste. Qui voudrait de l’attention de tout le monde à l’infini ? Horrible ! »

Vlad aurait apprécié en avoir en permanence, mais il se garda bien de le dire. Il secoua la tête et relança :

« Bon et toi Alby ? Et vous autres ?

— Moi… Avoir la super force et me téléporter et être super doué en sport et super cool pour avoir plein d’amis, et pouvoir faire grandir les plantes super vite ! Oh et aussi je voulais imaginer des vêtements et qu’ils apparaissent tout seuls !

Sa tirade essoufflée amena le groupe à s’arrêter pour réfléchir à tout ce qu’iel avait cité. Certain·e·s acquiesçaient, en accord, d’autres n’avaient jamais pensé à ça. Finalement, Vlad releva la tête et regarda Alby dans les yeux.

« Moi je pense que t’es déjà super cool. D’ailleurs, la preuve, t’as déjà plein d’amis, dit-il en désignant les autres autour de lui. »

Puis il ajouta :

« T’as vu la quantité d’activités que tu fais et de trucs que tu aimes ? Je me souviens même pas de tout ce que t’as dit dans ta présentation. Perso, je trouve ça grave stylé d’être passionné. »

Alby sentait ses joues et son front chauffer. Iel passa sa main dans ses courts cheveux blonds, ne sachant pas quoi dire. Ambrose lui sourit timidement, comme pour appuyer les propos de Vlad. Vlad, qui n’avait, lui, pas du tout l’air gêné par ce qu’il venait de dire. Amine et Robin hochèrent la tête, également en accord. Dans une tentative pour libérer Alby de cette situation inconfortable, iels commencèrent à parler d’eux en même temps. Après un léger rire, Robin lui fit signe de continuer.

« À toi l’honneur.

— Merci beaucoup. Je dirais que personnellement, j’avais envie de posséder la compréhension instantanée de n’importe quel mécanisme, n’importe quel objet, pour pouvoir fabriquer n’importe quoi, évoqua Amine. Quand j’étais vraiment petit, je voulais aussi être un homme électrique, se souvint-il avec amusement. »

Il reproduisit alors l’exact même signe que Robin avait effectué une minute plus tôt, pour lui laisser la parole.

— Moi je voulais de la super force pour être hyper douée en sport et mettre la honte aux gars. Mais finalement j’en n’ai pas eu besoin, j’y suis arrivée sans ça, eh eh. J’aurais bien aimé voler aussi. Et toi Ambrose ? Raphaëlle ? »

Après un long silence où les deux se regardèrent sans oser commencer, suivi d’un enchaînement de « Vas-y je t’en prie », « Non après toi », « Non, va-y », Ambrose perdit la bataille de politesse et rassembla ses pensées pour répondre.

« Hmhm… Avoir le pouvoir d’arrêter le temps. Comme ça j’aurais pu lire tous les livres du monde et faire en plus tout ce que j’aime d’autre. Ah, et avoir une baguette magique pour faire apparaître des gâteaux comme dans le dessin animé La belle au bois dormant. Ҫa paraissait plus facile que de tout préparer à la main. »

Iel se tut. Raphaëlle laissa passer quelques instants pour être certaine qu’iel avait terminé.

« J’aurais souhaité être télépathe, les choses auraient été beaucoup plus simples. Je trouvais ça chouette de savoir tout de suite ce que les gens pensent, ce qu’ils aiment, ce qu’ils aiment pas, ça évite de se poser des questions. Je voulais être hyper intelligente aussi, pour tout comprendre en chimie et faire plein de nouvelles découvertes. J’ai jamais réfléchi à la baguette des fées pour créer des gâteaux, mais maintenant que tu le dis Ambrose, j’aurais adoré ça ! »

Iels se sourirent, et la discussion s’arrêta. Le calme ne se ressentait pas comme angoissant, chacun·e reporta son attention sur autre chose, la texture de l’herbe, le bruit de l’eau, les feuilles des arbres. Iels se sentaient bien.

« Vous croyez qu’on peut voler ou se téléporter avec la magie qu’on apprend ici ? relança finalement Vlad. J’ai jamais vu ça, mais ce serait stylé.

— On pourra toujours poser la question à Madame Rivière, mais ça m’étonnerait, ou alors ça doit être super dur, lui répondit Robin. T’imagines devoir visualiser… visualiser quoi d’ailleurs ? Les particules d’air qui te portent ? Les atomes de ton corps qui se décomposent pour être recomposés là où tu veux aller ? C’est chaud. Si c’est possible on doit apprendre ça… au moins en dernière année à mon avis.

— Ouais, tu as raison… »

Vlad, un peu dépité, ne le resta cependant pas longtemps. La conversation se poursuivit et il eut l’occasion d’y participer allègrement. Progressivement, au fil de la soirée, elle se tarit et le silence recouvrit le groupe. Les criquets stridulaient, l’air se rafraîchissait. La rosée commençait à se déposer sur les brins d’herbe. Toustes relevèrent la tête pour admirer le ciel, certain·e·s s’allongèrent. Plusieurs donnèrent leur pull ou leur veste à Alby pour qu’iel puisse y appuyer son cou et lever la tête aussi sans que cela soit trop inconfortable.

Leur regard se perdait dans la nuit étoilée. Iels cherchaient les constellations, se pointaient tel ou tel astre. Ensemble, iels se sentaient heureuxses. Apaisé·e·s.

« Ooooh une étoile filante ! » s’écria soudainement Raphaëlle.

Toustes se dévissèrent les cervicales pour l’apercevoir.

« Faites un vœu, vite ! » ajouta Vlad.

Le groupe s’exécuta avec empressement et vit la ligne scintillante disparaître derrière la forêt au loin. Après cela, iels redoublèrent d’attention, espérant en observer d’autres. La chance était de leur côté, car en cette fin d’été se profilaient les dernières pluies d’étoiles filantes de la saison, voire de l’année : les Epsilon perséides. Iels profitèrent donc largement du spectacle, l’un·e des membres du groupe pointant généralement toutes les deux ou trois minutes une nouvelle traînée dorée. L’excitation les saisissait, leurs cœurs battaient à l’unisson, et iels s’amusaient pleinement. Partout autour d’elleux, l’herbe bruissait, caressait un poignet, une paume, une cheville. Loin, très loin au-dessus, des nuances de bleu, des plus foncées aux quelques claires, se mêlaient. Au centre de la nuit, une assemblée de lucioles se reposaient-là, et tous les regards venaient se perdre dans les profondeurs de leur tranquillité. La Voie lactée semblait briller plus fort, juste pour elleux.

Lorsqu’iels eurent leur content d’étoiles, de discussions, de grand air, iels décidèrent de rentrer. Après tout, il ne fallait pas qu’iels se retrouvent en retard pour l’extinction des feux, et iels ne voulaient pas non plus que Madame Rivière ait à les rappeler à l’ordre. Iels commencèrent donc à se relever, rassembler leurs affaires, et à replier les nappes.

Alors qu’iels reprenaient le chemin du retour cependant, Alby s’exclama brusquement : « Là ! Regardez ! »

Les autres ne repérèrent d’abord rien. Iels cherchaient, scrutant les alentours, les bois, la prairie.

« Mais là, regardez ! » réitéra Alby avec insistance, en leur pointant un endroit plus précis.

Iels comprirent alors ce qu’iel voulait leur montrer : en se baissant un peu, iels pouvaient apercevoir, loin entre les troncs, au fond de la forêt, une lumière rose qui pulsait. Elle était pâle, mais son éclat suffisamment vif pour arriver jusqu’à elleux malgré tout. Elle paraissait diffuse, comme si elle émanait des profondeurs d’un lac ou d’un point d’eau, et qu’une surface faisait barrage à sa pleine intensité.

Ambrose et Amine se tournèrent l’un·e vers l’autre immédiatement. Iels se consultèrent d’un coup d’œil, puis Amine se racla la gorge et déclara :

« Euh… C’est peut-être le moment de vous dire qu’on a déjà observé quelque chose de similaire le soir du Loup-garou, en fait. »

Toustes se retournèrent vers lui et Ambrose d’un seul bloc.

« Raconte, ordonna presque Robin.

— Avec Ambrose, on admirait le paysage du balcon, les bois et tout ça, et puis avant de partir nous coucher on a vu une lumière exactement comme celle-là, qui ondoyait, mais elle était jaune, pas rose. Au bout d’un moment, elle a disparu. Elle venait aussi du centre de la forêt. »

Toustes se regardèrent. Malgré la fatigue, l’excitation pétillait à nouveau en elleux, titillait leurs membres, se répandait dans leurs veines.

« Bon, eh ben ça fait un nouveau mystère à ajouter à la liste ! déclara Vlad. Va falloir qu’on s’occupe de ça aussi, on peut pas rester sans savoir, pas vrai ? »

Les autres acquiescèrent. Un sourire s’étendait sur toutes les lèvres.

« Va falloir qu’on réfléchisse bien surtout, leur fit remarquer Robin. En journée on verra pas la lumière donc on pourra pas se diriger. Soit on cherche à l’aveugle, soit faut essayer de faire un genre de… localisation ? Je sais pas comment on dit. Quelqu’un sait faire ça ici ?

— Je peux essayer de trouver comment faire, dit Raphaëlle en levant timidement la main. Je suis pas sûre que ce soit très précis, mais j’avais étudié quelque chose comme ça à l’école, je vais relire mes cours.

— Je peux te filer un coup de main si tu veux, proposa Amine. J’ai déjà quelques idées de comment on pourrait faire ça. La triangulation par exemple. »

Raphaëlle lui répondit doucement que ce serait avec plaisir et iels commencèrent tous deux à discuter calculs et organisation. Le groupe se décida ensuite sur son plan d’action. Régulièrement, iels passeraient leurs soirées sur la terrasse du toit, tant qu’il ferait encore bon, et en profiteraient pour guetter si le mystérieux halo revenait. Raphaëlle et Amine devraient garder ce dont iels avaient besoin pour leurs calculs à tout instant sur elleux, pour pouvoir réagir vite si elle se manifestait et débuter la recherche des points de triangulation immédiatement. Robin, Céleste et Alby, qui possédaient une bonne mémoire visuelle des lieux et un solide sens de l’orientation, se proposèrent pour essayer parallèlement d’estimer où se situait l’endroit où la lumière apparaissait au jugé, afin de pouvoir éventuellement y guider les autres. Ambrose et Vlad, de leur côté, seraient chargé·e·s d’écumer les livres à la bibliothèque pour découvrir si un ouvrage faisait mention d’événements similaires. Ambrose était ravi·e : iel allait pouvoir se rendre utile, mais aussi revoir Bibliothécaire.

Une fois que tous les détails furent établis, iels rentrèrent pour de bon à l’école, en retard évidemment. Les lumières étaient déjà éteintes lorsqu’iels arrivèrent à l’étage des dortoirs ; la lune qui filtrait à travers les vitraux éclairait cependant légèrement leur chemin. Sur le pas des portes, iels se souhaitèrent bonne nuit, et se promirent de reparler de tout ça le lendemain. Iels se couchèrent et s’endormirent rapidement, heureuxses de la soirée palpitante qu’iels venaient de vivre.

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