Chroniques du vieux moulin - Tome 4 : Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Chapitre quatre-vingt-onzième
La troupe s’étirait sur la route qui monte depuis Vignevaux et Hautesherbes jusqu’aux cités du nord. Ayzebel en avait pris la tête, ses paysans derrière elle, tandis que Daogan et ses deux compagnons fermaient la marche.
Le guerrier était tout étonné de s’être ainsi trouvé un embryon d’armée. Il ne pensait pas être aussi connu ni autant apprécié. Il en riait encore tout seul, l’air bête, en se grattant l’arrière du crâne. Et dire que deux jours plus tôt, Parole vivait au fond de la forêt, ermite et heureux de l’être. À présent, Daogan renaissait de ses cendres.
Était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Cela restait encore à trancher. Mais de toute manière, il était trop tard pour faire marche arrière…
Ce qui étonnait surtout Jérémiah, en revanche, concernait plutôt le Sénéchal Bélésaire Viqueford et son drôle de plan. Plus il y repensait et plus l’idée lui paraissait folle. Pourquoi les lignées aristocrates auraient-elles une quelconque envie de rejoindre la plaine des Lannanches ? Eux s’en tiraient bien dans tout ça : richesse, pouvoir… Certes, les temps s’avéraient durs à cause de l’invasion sauvage, mais cela changerait. Ou alors, si ça ne changeait pas, c’était que Grimm leur aurait passé sur le corps, et dans ce cas plus besoin de se préoccuper pour quoi que ce soit.
Non, l’unique argument qui pourrait les faire bouger, à son sens, tiendrait dans le respect des ancêtres. Ou de l’Histoire, mais c’était à peu près la même chose. Seulement, les aristocrates conservaient-ils encore assez de respect pour tout ça ? Jusqu’à leur faire changer leurs habitudes, et bouger leur cul vers une plaine isolée, certes historiquement importante, mais surtout foutrement reculée… Jérémiah ne savait pas répondre à une telle question. Lui n’était pas noble, mais un simple bouseux. Et puis, il en connaissait bien un, de fils aristocrate, mais ce n’était pas vraiment un miroir de tous les autres… Ce que le lieutenant savait, en tout cas, c’est que lui ne se serait pas imposé le déplacement.
Oui, décidément, ce plan était fou. Mais en même temps, qu’est-ce qui menait Daogan, depuis son départ des Marches, si ce n’était sa folie ?
Jérémiah se tourna vers le Sénéchal, qui chevauchait une main sur le postérieur et la grimace aux lèvres :
« Dis, Bélésaire, d’où t’es venue cette idée ? De réunir les grandes lignées sur la plaine des Lannanches, je veux dire… »
Le bedonnant personnage bougonna quelque chose d’incompréhensible, les yeux rivés devant lui.
« Allez, courage, la douleur passe après quelques jours de chevauchée. C’est une question d’habitude ! »
La réponse fusa de la bouche du Sénéchal, comme s’il s’agissait d’une évidence :
« Mais je ne souhaite pas en prendre l’habitude, moi ! Je veux simplement rester dans le même coin et qu’on me laisse un peu tranquille… Pourquoi crois-tu que je sois demeuré aussi longtemps auprès de Sylvert ? Ils m’ont oublié, là-haut ! (Il pointa le nord du nez.) À part Alphride, mon cousin, qui m’écrit de temps en temps. J’aurais pu rester dans le sud, mais vous savez, quand on est Sénéchal, ce n’est pas qu’un titre : c’est un devoir ! Et puis, la bouffe de Hautesherbes ne me revenait pas – ça alourdit l’estomac, à force… »
Jérémiah ne trouva que répondre, tant la direction que prenait la conversation lui paraissait incongrue. Il laissa donc passer un moment, le temps que Bélésaire cesse de comparer les deux régimes et qu’il se permette aussi un détour vers cette petite auberge, dans le domaine des Cachampgueux, qu’il rêvait un jour de visiter à nouveau.
Quand enfin le Sénéchal s’avéra à bout de mots, ou de salive plutôt, Jérémiah reposa sa question :
« Je me permets de redemander ; d’où t’es venue cette idée de réunir les lignées aristocratiques aux Lannanches ? On avait décidé de monter au nord mais, ensuite, on n’avait pas vraiment défini de stratégie… Je pensais qu’on allait tout simplement s’enrôler dans l’armée cannirnoskine afin d’affronter Grimm. »
Bélésaire soupira longuement :
« Eh bien, quand tu as décidé d’obtenir une réponse, toi, tu ne te lasses pas… »
Le lieutenant sourit :
« Et donc ?
— Bon, bon, je vais te répondre… Mais tu vas être déçu. En fait, je n’en sais trop rien. Dans mes études, je me suis beaucoup intéressé à l’Histoire de la Cannirnosk. C’est bien loin, à présent, mais mon passage préféré reste celui de la plaine des Lannanches. Tu savais que deux réunions s’y sont tenues ?
— Tu sais, moi, mes études se sont limitées à apprendre à détrousser les badauds sur les marchés. Et en plus, j’étais pas vraiment doué pour ça…
— Hum… Lorsque la grande Invasion fut achevée, les familles conquérantes – celles qui sont depuis devenues les lignées aristocrates – se disputèrent les territoires envahis. Chacune voulait se tailler le plus gros morceau du gâteau, en somme. Après avoir défait l’ancien peuple et repoussé leurs combattants vers les septentrions, ces idiots de Cannirnos se battaient entre eux. C’est là que Laredrimar Helvival, la plus grande figure historique du pays, a… heu, lui tu as quand même dû en entendre parler ?
— Oui, oui, je ne suis pas demeuré non plus. Il était le chef de la lignée Helvival au moment de la grande Invasion.
— C’est ça. Et bien Laredrimar Helvival voulut calmer tous ces gargotiers. Pour ça, il réunit les différentes maisons sur la plaine des Lannanches, où il leur imposa son idée. Pour la faire courte et simple, il devint roi (Bélésaire tournait en l’air son gros doigt afin d’appuyer son propos.), avec pour asseoir sa fonction une couronne d’or, sertie de sept gemmes vert sombre pour représenter les sept lignées sur lesquelles reposait sa puissance. On ne le sait que peu, mais le premier dirigeant de notre pays a été à la fois un Helvival et un roi ! C’est drôle, non ? »
Jérémiah ne paraissait pas trouver cela particulièrement drôle, mais Bélésaire ne s’en rendit pas compte et poursuivit :
« Seulement les de Pal, suivis de près par les autres familles, n’ont pas longtemps apprécié de se laisser dominer ainsi. Ils ne s’étaient tout de même pas tartiné cette guerre pour se retrouver vassaux ! Les de Pal organisèrent donc une seconde assemblée, encore une fois sur la plaine des Lannanches. Toutes les lignées y tinrent de nouveau Conseil, mais pas, cette fois, sous la fourchette de Laredrimar, car c’étaient les de Pal qui lisaient la recette. En fait, les Helvival ne furent pas informés de cette rencontre avant que les grands principes visant à diriger le pays fussent décidés. Plus de roi, un Seigneur Souverain à la place (un de Pal), et un Seigneur de guerre pour la politique extérieure (Laredrimar, donc, pour lui faire avaler la pilule). Quand on le manda, le Laredrimar, il l’avait salée, l’humeur. Et s’il se soumit, il gâcha tout de même la fête des de Pal en obtenant que le Seigneur Souverain soit enfermé dans son palais avec interdiction d’en sortir, sauf raison majeure…
« Ce lieu s’avère donc doublement symbolique. Je me suis dit que de s’y poser ne ferait pas de mal. Et puis, comme ça je rentre un peu dans l’Histoire, moi aussi… »
***
Dans la fin de l’après-midi, la troupe aborda un village paysan. Il ne s’agissait que de quelques bâtisses à moitié délabrées, visiblement davantage battues par les impôts que par les vents.
Les résidents, inquiets, observèrent les nouveaux venus s’approcher, puis s’immobiliser sur la petite place au centre des habitations. Pas un mot n’avait été échangé lorsque Bélésaire Viqueford se décida à prendre la parole :
« Fier peuple de Cannirnosk… »
Il pivota vers Daogan après cette courte introduction et fit la grimace. Le guerrier tourna sa main sur elle-même pour le pousser à continuer. Il ne dit rien, mais les mots revinrent dans la tête du Sénéchal : « Ton idée, tu t’y colles. »
Il reprit donc :
« Hem. Fier peuple de Cannirnosk, soyez informé par la présente que le chef de guerre Daogan organise sur la plaine des Lannanches un Grand Conseil. Fini le combat, place à la politique ! »
Le bedonnant Sénéchal se tourna à nouveau vers Daogan, qui arborait une moue dubitative.
« Oui, je sais, grommela Bélésaire, mais je n’avais pas trop d’inspiration… »
Il braqua son regard vers les résidents, toujours immobiles, comme pour les forcer à réagir. Les yeux de ceux-ci paraissaient passablement vides. Pourtant, l’un d’entre eux s’avança bientôt :
« Daogan, c’est bien le fils de noble qui a combattu son père ? Le libérateur de l’ancien peuple, comme on l’appelle ?
— Heu… oui. »
L’intonation du Sénéchal faisait presque de sa réponse une question.
« Et il est ici ? »
Pour confirmer le hochement de tête de Bélésaire, Daogan poussa sa monture en avant :
« Je suis là. »
Dressé sur ses étriers, épée au côté, groin féroce, le chef de guerre avait de quoi impressionner.
L’homme le fixa un instant, et ce fut à Daogan de pivoter vers Bélésaire, indécis, avant d’être surpris par un cri :
« Les gars, c’est Daogan ! On en a rêvé, voilà que vient notre tour ! Comme avec Geraint, Daogan le libérateur est venu pour nous ! »
Une vieille femme s’approcha à petits pas :
« Après la dérouillée de Hautesherbes, nous pensions que tout était perdu. Nous avions pourtant espoir que votre rébellion pourrait nous sauver aussi… Mais à présent vous voilà, et l’optimisme renaît ! »
Une autre femme, plus jeune, se présenta devant le guerrier :
« Nous sommes prêts à prendre les armes. Comme de nombreux habitants de Cannirnosk, je pense ; on entend beaucoup murmurer votre nom, chez les soiffards de liberté. Vous évoquer échauffe les esprits, vous voir saura lever des armées ! »
Sans que cela n’ait été demandé, une dizaine de paysans, de tous âges et de tous sexes, se pressèrent bientôt aux côtés de Daogan, en armes. Les quelques réfractaires, rencognés contre leurs bâtisses, fixaient la scène d’un air inquiet.
Bélésaire Viqueford quêtait le regard de Jérémiah, un grand sourire en travers du mufle :
« Vous savez ce que ça veut dire ?
— Que si les paysans nous rejoignent ainsi, et que notre troupe prend de l’ampleur, nous n’aurons pas à inviter la noblesse à discuter sur les Lannanches, nous pourrons leur forcer la main, et véritablement représenter et protéger les démunis !
— Heu… Je pensais surtout au fait que j’ai eu une foutrement bonne idée ! Mais, enfin, oui, ce que vous dites aussi… »
Des situations semblables se reproduisirent dans les bourgs et autres villages que Daogan et les siens traversèrent. Comme l’espérait le lieutenant Jérémiah, leur troupe doubla rapidement, tant et si bien qu’une nouvelle stratégie fut mise en place. Ce fut Ayzebel qui la leur présenta un soir :
« Séparons en deux notre armée. Ainsi, avant d’aborder les Lannanches et d’envoyer des messagers aux lignées aristocrates, chacun voyagera dans une direction différente. Plus nous parcourrons de routes, plus nous réunirons de soldats, plus nous posséderons d’influence. »
Bélésaire Viqueford intervint sans attendre qu’elle ait terminé :
« Dans ce cas, Daogan, il faudra passer dans le domaine des Cachampgueux. Certes, la plupart d’entre eux se sont fait occire par les assassins de Breridus, mais les survivants vous prêteront main-forte, j’en mettrais ma gamelle au feu ! »
Ayzebel glissa un œil vers Jérémiah avant de reprendre :
« Seulement comme c’est à votre nom et à votre figure, Daogan, que tous se rallient, j’aurai bien moins d’influence. Je pense donc qu’il serait bon que votre lieutenant vienne avec moi, ainsi en plus d’une armée, je serai accompagnée par un des chefs de guerre de Daogan et l’on me fera confiance… »
Le guerrier la fixa un moment, considéra Jérémiah pour obtenir sa validation – que ce dernier donna d’un bref hochement de tête –, puis acquiesça :
« C’est d’accord, dès demain nos routes se séparent… pour les peuples de Cannirnosk !
— Je viens avec Daogan ! ne put s’empêcher de clamer Bélésaire. Je pourrais me montrer utile, chez les Cachampgueux. Et puis, j’y connais une petite auberge qui… »
***
Comme cela avait été dit, l’aube fut le théâtre de la séparation du chef de guerre et de son lieutenant.
Alors que tous se tenaient prêts, Daogan posa la main sur l’épaule de son ami :
« T’as pas intérêt à me faire faux bon. »
Jérémiah sourit :
« Il faudrait me tuer, pour cela…
— Jusqu’à ce que la mort nous sépare, mon ami. Jusqu’à ce que la mort nous sépare… »
Les deux troupes partirent donc dans deux directions différentes : Daogan et Bélésaire vers le nord-ouest, Ayzebel et Jérémiah vers le nord-est.
« Ne vous approchez pas de Landargues, confia encore Daogan comme ils entamaient la marche. Cela ne sert à rien de prendre des risques et de vous retrouver entre deux feux… »
Jérémiah hocha la tête, Ayzebel ne lui accorda pas un regard. Elle paraissait en proie à une certaine agitation, depuis le réveil.
Après une centaine de pas, elle fit brusquement demi-tour et hâta l’allure jusqu’au chef de guerre. Ce dernier, surpris, immobilisa sa monture.
« Daogan, je ne sais pas vraiment si je dois me sentir heureuse de notre séparation, ou bien si je dois la craindre… En tout cas, n’oublie pas que tu me dois une vie. Je ne t’ai pas pardonné le meurtre d’Estenius, Daogan, et je ne te le pardonnerai jamais. J’ai entendu ce que vous avez dit, avec Jérémiah, et je te le répète, bien que je ne place pas les mêmes sentiments derrière : ne t’avise pas de mourir. Pas avant d’avoir réalisé ce que tu avais promis ; pas avant d’avoir libéré l’ancien peuple. »
Daogan sourit tristement :
« Jusqu’à ce que la mort nous sépare… »
Ayzebel hocha la tête, puis elle fit demi-tour, presque en courant, pour rattraper le lieutenant Jérémiah et leur troupe.
***
L’arrivée à Mottevieille, la forteresse de la lignée Cachampgueux, se déroula dix jours plus tard. Les arrêts avaient été nombreux jusque-là, et toujours récompensés par de nouvelles recrues.
Cependant, et alors que la nouvelle de leur venue allait plus vite que leur venue elle-même, l’accueil réservé par les habitants du village autour de Mottevieille s’avéra très différent de ce à quoi ils s’attendaient.
Même Bélésaire Viqueford, qui avait vanté la célèbre hospitalité Cachampgueux, en restait bouche bée. Personne dans les allées, si ce n’étaient des regards furtifs jetés depuis les fenêtres ou l’ombre des coins de rue. Pas un passant, pas un garde, pas même un gamin à jouer dans la boue.
À peu de distance de la forteresse, Bélésaire faussa compagnie à Daogan.
« Je dois me rendre à… dans… Enfin, je pense que je peux rassembler des hommes. »
Daogan grogna en retour et le Sénéchal, qui n’en demandait pas davantage, fit volter sa monture sans plus de cérémonie.
Daogan poursuivit son chemin, la longue cohorte de l’ancien peuple sur ses talons, jusqu’à la forteresse. Il s’y planta, poing sur les hanches, et beugla :
« Cachampgueux, je viens vous proposer vengeance ! »
Tout d’abord, rien ne bougea, puis le carreau d’une fenêtre s’ouvrit au premier étage. Une voix en tomba comme une pierre :
« Y’a plus de Cachampgueux ici. Remerciez-en Breridus…
— Y’a pourtant bien quelqu’un dans leur forteresse ! »
Une vieille femme se pencha par la fenêtre :
« On n’allait pas abandonner une si belle bâtisse. Nos maîtres sont morts, mais pas nous ! On profite comme on peut du malheur que nous a causé Breridus…
— Me prenez pas pour un demeuré ! Vous auriez laissé les de Pal faire la peau de tous vos seigneurs sans lever le petit doigt ? Non, j’y crois pas… »
La fenêtre se ferma au-dessus de sa tête :
« Vous les avez cachés, et ils se trouvent toujours ici, dissimulés dans les ombres. Ou alors vous auriez tous péri avec eux ! Pensez pas que je suis nigaud… J’ai passé ma vie dans le nord, certes, mais j’ai reçu une éducation à Hautesherbes, avant ça ! »
La fenêtre se rouvrit en partie :
« Vous êtes qui, d’abord ? »
Le guerrier bomba le torse :
« Daogan, pour vous servir. Daogan, le chef de la révolte contre la lignée Groëe ! Ma lignée… Et à présent, je crois que le peuple de Cannirnosk a besoin d’un grand changement. En combattant chacun de notre côté, nous ne parviendrons à rien. La preuve en est ma défaite contre mon père. Seulement, si nous nous allions, nous pouvons imposer notre volonté. Voyez l’armée sur mes talons. Or, je crois pouvoir trouver ici des gens qui partageront volontiers mes idéaux… Alors ramenez-vous, Cachampgueux, qu’on discute un peu ! »
Après plusieurs minutes, que Daogan passa les poings sur les hanches, la grande porte de la forteresse s’entrebâilla. Un homme énorme en franchit l’ouverture. Sa trogne tavelée ne paraissait pas accueillante pour deux sous.
« On vous a dit qu’il n’y avait plus de Cachampgueux, ici. »
Il parlait comme on éructe, sa grosse lèvre peinant à effectuer les mouvements nécessaires pour se montrer compréhensible. Au regard torve qu’il gardait fixé derrière lui, Daogan déduisit que certains de ses acolytes devaient certainement s’y trouver. Des pas légers lui confirmèrent qu’on l’encerclait.
« Tu me fais pas peur, mon gars. Pas plus que tes copains dans mon dos ! »
L’autre ricana.
« Après, si tu veux de la bastonnade, viens me chercher ! »
Daogan dégaina, avant de crier à sa troupe :
« N’intervenez en aucun cas. C’est une affaire entre moi et eux. Et puis, ne vous inquiétez pas, c’est eux qui devraient se faire un peu dessus… »
L’homme s’avançait d’une démarche pesante dans sa direction, mais une voix claqua depuis les ombres, à l’intérieur de la forteresse :
« Madrick, arrête ! Il me paraît assez fou pour être celui qu’il prétend… »
Une femme de forte corpulence apparut dans l’ouverture de la porte :
« Rengainez, Daogan, et comprenez que nous devions vérifier qui vous êtes…
— Y’a pas d’mal.
— Je suis Pétronelle Cachampgueux. C’est moi qui ai élevé Elivard Cachampgueux, le célèbre gardien de Breridus dans la Couronne de pierre. Mon petit Elivard a été la première victime de Breridus et, croyez-moi, je souhaite plus que tout le lui faire payer. Alors, quelle que soit l’alliance que vous venez proposer, si elle mène à une destitution du félon de Landargues, nous vous rejoindrons avec entrain ! »
Daogan sourit :
« Voilà ce que j’appelle une bonne nouvelle ! Je commençais à croire que je m’étais imposé tout ce chemin pour rien…
— Oh non, pas pour rien, je vous le promets ! Allons, expliquez-moi ce que vous comptez manigancer sur les Lannanches… »
Daogan s’exécuta de bon cœur, et détailla leur plan de bout en bout, sans omettre de préciser l’engagement volontaire des centaines de paysans à ses côtés. Il confia aussi qu’il était plus difficile de convaincre les lignées aristocrates de se joindre à eux, car ils craignaient davantage Grimm que Breridus.
Au fur et à mesure de son explication, trois personnes s’étaient rapprochées d’eux. Lorsque Daogan eut terminé, Pétronelle lui présenta les derniers survivants de la lignée Cachampgueux. L’une d’entre eux, la plus jeune, prit la parole :
« Je suis Théophida, petite cousine d’Elivard. Je tenais énormément à lui et je voulais vous dire que nous sommes très reconnaissants pour ce que vous entreprenez, Daogan, même si je sais que vous ne le faites pas pour mon cousin… »
Elle se tourna vers Pétronelle pour ajouter :
« Ma tante, ne pourriez-vous pas écrire à vos amis, ceux de l’époque de vos études à Landargues ? »
L’épaisse Cachampgueux éclata de rire :
« Toi, je sais de qui tu tiens, petite ! J’allais justement ajouter que j’ai un moyen pour attirer les autres lignées sur la plaine des Lannanches… »